Comme toutes les célibataires du grand Buffet des Continents, j’ai regardé Tinder Swindler pendant la fin de semaine. Je suis certaine que ce documentaire-là est la réponse que ma mère attend depuis deux ans, depuis que je lui ai confié – niaiseuse! – que j’avais rencontré quelqu’un sur un site de rencontres. Ici entendre son ton catastrophé : «mais est-ce que c’est SÉCURITAIRE ces affaires-là?»
J’avais juste roulé des yeux.
Certainement que son biais de confirmation sera servi.
Comme le kite-surf ou les bonbonnes de propane, les applications de rencontre ont leurs consignes de sécurité.
Oui, tu googles et tu facebookes les prospects. Moi j’avise une amie quand je vais rencontrer quelqu’un. On est toujours à une Alerte Amber de trouver l’âme soeur.
Je n’ai pas d’anecdote de jet privé mais j’ai vu passer plusieurs prétendus pilotes. Celui de Jordan Airlines qui m’a invitée à le rejoindre à son hôtel pour qu’on sorte en boîte au centre-ville un mardi soir. Celui des U.S. Air Force qui suivait une formation dans les Laurentides. Yeah yeah, you’re right.
La fois où j’ai eu le plus peur est vraiment moins glam. J’ai échangé pendant quelques semaines avec un coureur. Un athlète de marathons. Un gentil John.
On veut se rencontrer pour aller courir ensemble. On est en octobre. Il fait pas chaud chaud. Pis moi je transpire et je gèle rapidement dès que j’arrête de courir. Je ne ressens aucune adhésion à l’idée de prendre un verre de blanc ou un café 3è vague avec mes ronds de sueur en dessous des seins et des bras, ma face rougie pis mes cheveux en serpentins collés à mon front (je le sais de quoi j’ai l’air quand je reviens de courir!), en portant mes runnings shoes aux couleurs de brosse à dents en plus.
Le John me dit : on peut se rejoindre au Parc Maisonneuve, j’habite tout près. On viendra prendre un verre chez-moi après. Tu pourras prendre ta douche.
Il faudrait aussi que je passe chez-lui avant la course. J’ai besoin d’apporter 2-3 affaires (des vêtements de rechange pis des condoms, ça fait partie des consignes de sécurité.)
J’arrive devant son adresse.
Rue quelconque. Bloc appartement un peu moche.
Le terrain en avant n’est pas entretenu et il y a un monticule de… de quelque chose, sur le gazon, que des dizaines et des dizaines d’oiseaux picorent. Une accumulation sédimentaire de miettes secouées de la nappe des locataires du premier étage depuis l’époque de la biscuiterie Viau, si je me fie à l’aspect imposant du monticule de miettes.
Évidemment, les oiseaux s’envolent à mon approche.
Je sonne en me demandant si je vais sortir de ce bloc appartement vivante. C’est dur de ne pas penser que le monticule a les attributs symboliques d’un cadavre. Tous les signes me disent va-t-en. Pis moi, bien, le John m’ouvre, je monte la cage d’escalier et je me présente chez-lui.
Il a l’air gentil finalement, tel que sur ses photos. Cute aussi. Son appart est propre.
On va courir.
Un gros 8 kilomètres lent pour lui.
Avec les dates de marche et de course, ou de sport en général, l’affaire c’est qu’on se voit pas. Ça a l’air d’une évidence mais c’est une évidence que la pandémie a rendue encore plus évidente. On se découvre de manière latérale. Bref.
Au kilomètre 6 ou 7, il mentionne qu’il ne voit plus du tout son père. Qu’il a coupé les ponts avec lui. N’importe qui se doute qu’une coupure radicale cache un os, un tabou, une blessure. Et moi, sans égard au plus élémentaire savoir-vivre, je lui demande pourquoi.
Le John commence par esquiver mais il finit par me dire : mon père est un pédophile.
Super.
Quelque part en périphérie de ma conscience, il y a ma mère effarée qui désapprouve toutes mes décisions depuis le début de la journée. Je me dis que je vais rentrer pour reprendre mon sac et oublier le verre de vin.
On revient tranquillement. Il fait beau. Je ne me rappelle pas si on a eu droit au comité d’accueil des oiseaux au retour.
Quand on monte, je n’arrive pas à formuler que je vais partir.
Il m’offre de prendre ma douche comme prévu.
Je ferme la porte derrière moi dans sa salle de bain sans fenêtre. Je regarde autour. Presque rien. Un savon, un shampoing. La pharmacie derrière le miroir est presque vide.
J’arrive pas à enlever mes vêtements.
C’est le silence, il doit entendre que je ne fais rien. Je me passe un peu d’eau sur le visage.
J’essaye de faire pipi. Mais j’y arrive pas non plus.
Je l’entends dans la cuisine. Il est en train de nous verser des verres.
Je décide de rester comme ça, en vêtements de course, pas lavée.
On se retrouve dans la cuisine. Il a mis des bouchées dans une assiette. Il est vraiment gentil pareil.
J’accepte le verre.
Je ne suis pas sur le bord de tomber amoureuse mais c’est agréable de jaser.
Après peut-être 45 minutes, une heure, fouille-moi pourquoi, il se pèse sur la balance qui traîne dans son salon. Je fais pareil. Il s’approche de moi et m’embrasse pendant que je me pèse. (Juste ça. Gros câlin back to the future à l’adolescente anorexique que j’ai été. Tu vois, un jour, les balances vont te crisser patience.)
Dès qu’on s’est embrassés, une nouvelle dimension s’est ouverte. LA dimension. Le gros shutdown de la réalité qui s’opère que tu vis une expérience érotique avec quelqu’un. Le sexe avec mon John a été une vraie Jouvence les 3 fois où on s’est vus.
Il avait un passé pas facile. Son père avait non seulement eu des contacts sexuels avec des mineurs mais il a violé la soeur de sa mère. Lui ne l’a appris de sa tante que des années plus tard, après le décès de sa mère, parce qu’elle ne voulait pas que son fils le sache.
John parlait de tout ça avec beaucoup de franchise, mais sans larmoyer ni se plaindre. Il détestait son nom de famille, celui de son père, et il avait entrepris une démarche pour prendre le nom de jeune fille de sa mère.
Je repense à tout ça.
Est-ce que Tinder est sécuritaire?
Est-ce que la vie est sécuritaire?