
L’Ukraine.
La relâche.
Me faire ghoster par mon pticopain.
Écrire à plein de monde sur Home Exchange pour un troc de maison l’été prochain. Very comfy house in a charming neighborhood.
Me convaincre : tu es entière. Il ne te manque pas de morceaux. Même si tu n’as personne avec qui t’endormir le soir. Very comfy woman in charming flannel sheets.
Avoir déjà invité le père des enfants pour n’importe quelle destination qui va se confirmer. Parce que voyager en famille, il n’y a rien pour battre ça.
Le regretter.
Taper Odessa dans l’outil de recherche. Quatre résultats. La maison d’Inna, avec ses immenses fenêtres en arche, habillées de jolis voiles translucides. L’appartement de Gallina, dans la vingtaine, décoré à la mode cégep des pays de l’Est, avec des armoires de cuisine peintes en turquoise trop vif. Où sont-elles en ce moment, ces deux femmes qui comme moi rêvaient de voyage et de vacances d’été?
M-A ne m’écrit plus jamais. J’ai l’impression d’avoir foiré.
Il me l’avait dit : je ne sais pas ce que tu attends de moi. Il se posait des questions sur ma relation avec le père de mes enfants. Je n’ai pas su répondre autrement qu’avec : on est resté des amis. Je n’ai pas su le rassurer.
C’est seulement maintenant que je réalise que je suis une manufacture d’ambiguïté.
Je clique sur le profil Ruslan’s Flat in Odessa not far from seaside.
Caroussel de photos d’un petit chien blanc au regard anthropomorphe. Les aires de vie se devinent à peine. On se tient au plancher. La douche, un tapis, des sandales qui ne font qu’évoquer l’absence ou la fuite.

Dans la section Information additionnelle, Ruslan écrit :
(!) IMPORTANT (!) – Me and my wife, and our little dog are in Spain, shocked by the war. By this reason I am not able to submit good pictures of our flat, because before this travel I only discovered the HomeExchange and was just exploring it, so it did not come to the pictures.
I will try to find and provide some pictures where at least something is seen. Therefore I bring my apologies for doing so and request for your kind understanding.
Thank you.
Tu es mille fois pardonné, Ruslan. J’espère de tout coeur que vous vous portez bien, ta famille et toi, ainsi que le chien.
(Je ne sais pas comment te dire ça, mais tu sais, je doute de l’urgence de télécharger de meilleures photos actuellement. Personnellement, je suis déjà attachée à votre toutou.)
J’ai toujours imaginé Odessa comme la Floride des Russes riches et célèbres. Snowbirds de la mer Noire.
Sur Google Images, les photos abusent de filtres aux couleurs tellement saturées que la ville a l’air d’un clown trop maquillé juste avant un gâchis de larmes.
Une seule image détonne cruellement. On voit Odessa grise, brisée et enfumée, avec une manchette en dessous. 18 Killed In Ukraine’s Odessa Under Missile Attack : Officials.
Dans les autres onglets, je cherchais un tuto pour me couper les cheveux moi-même (how to cut curly hair by myself) et des avant-après de blépharoplastie.
Dire à quel point je me sens vaine.
Indigne du courage des Ukrainiens.
Pognée avec une très non-historique peine d’amour dont la seule originalité est d’être déprivée par la guerre, et en même temps nourrie par elle.
Sans compter la menace nucléaire, les rapports du GIEC, l’inflation, l’indécence immobilière et les convois pour la Liberté de ne penser qu’à soi, rien qu’à soi.
Une peine d’amour banale et englobante.
Décentralisée comme dirait M.Awad, ce jeune prodige de la néo-philosophie des affaires.
La plateforme d’échange de maisons m’envoie un courriel. «Si vous souhaitez ouvrir votre porte à des Ukrainiens dans le besoin, rejoignez le groupe Solidarité. Plus d’informations ici.»
Je crois que la réponse est là. Dans l’engagement. L’action. Je vais essayer d’essayer ça.
(Pour visiter la «charming» Odessa d’avant les bombes, un joli compte-rendu de voyage ici).