Laisser une trace de A.

Depuis quelques semaines, je flirte avec un gars que je connais très peu mais depuis très longtemps, et qui est réapparu dans ma vie par une appli de rencontres.

Je suis réticente à écrire sur lui — un autre! Disons qu’on n’a pas beaucoup de temps pour s’attacher à mes personnages masculins. Écrire sur mes fréquentations, c’est probablement une mauvaise idée sur un plan littéraire. C’est souvent la seule que j’ai. 

Alors. 

***

En 2018, le cannabis allait devenir légal. Pour le travail, je devais réunir autour d’une table des fumeurs de pot récréatifs pour une discussion sur leurs habitudes de consommation. 

J’ai pensé à A. car il avait semé quelques allusions sur Facebook. 

En ouvrant Messenger pour le contacter, je suis tombée sur notre dernier échange qui datait de 2008. Je ne me rappelais même pas qu’on avait déjà échangé ; je me rappelais vaguement que je l’ai toujours trouvé beau et intrigant avec son aura punk, mais je ne me rappelais pas de ceci.

Wo. Elle est bonne celle-là.

Je suis instantanément gênée de l’expression de matante «pauvre petit coeur» — mais pourquoi ai-je dit ça comme ça? — et stupéfaite par mon audace — mon arme de choix dans le Hunger Games de la séduction, depuis des lunes rangée dans son carquois comme une relique.

Oui, elle est bonne celle-là, on se croirait dans une comédie à sketchs très nichée sur les ironies numériques d’une pigiste, mais il y a autre chose. La date. Le 28 août 2008, mon premier enfant, mon fils, venait d’avoir un an. Il me semble que j’étais heureuse…non? 

Cette pensée a l’effet d’une abduction ; une Moi extra-terrestre m’apparaît en flash frame et m’indique le passage vers une autre dimension de moi-même. Qui est cette fille qui m’envoie des signaux de fumée venus du passé, que veut-elle dire à la femme que je suis devenue? 

Mais on ne doit pas se laisser distraire quand on est dans une mission de booking. 

Je relis tout mon trouble dans le mot «Écoute». Ni bonjour, ni «ça fait longtemps», ni de jolie amorce comme je le fais toujours. Écoute, je sais qu’en t’écrivant je vais te remettre sous les yeux l’échange qu’on a eu il y a dix ans. Écoute, oui, j’ai eu un petit crush sur toi à chaque fois que je t’ai croisé, dans le temps. Écoute, j’ai bien essayé mais je n’ai pas trouvé une pointe d’humour pour briser cette glace, en fait je vais avoir un diagnostic d’épuisement professionnel dans quelques semaines et dans un geste d’éclat, je vais démissionner. 

A. a accepté notre invitation malgré la rudesse de mon approche, un ou une collègue s’est emparé du dossier, et quelques jours plus tard j’ai fait exprès de me rendre au studio pour le revoir en vrai. À peine cinq secondes où j’ai pu, ultimement, lui dire allô, le trouver encore beau et classer cette histoire dans l’oubli.

****

Un jour j’ai vu A. sur Hinge. Je ne l’ai pas “liké” parce que je fréquentais mon Pticopain. Mais plusieurs mois plus tard, quand Pticopain est devenu l’homme le plus décevant du monde, je lui ai écrit — «Écoute, je suis célibataire» mais en d’autres mots. Il fréquentait quelqu’un à ce moment-là. Alors on s’est dit à la prochaine. Jusqu’à ce que, quelques mois plus tard, il m’écrive.

Je passe le récit de notre rencontre sur la terrasse, il suffit d’insérer les clichés, on se détaille, on se sonde, on évite de parler de nos relations passées, exception faite de l’autre parent de nos enfants qui a droit de cité, je traque nos points communs et j’ai le sentiment de scorer à chaque complicité. 

La chose qui s’est passée par contre, c’est que j’ai ressenti qu’on écrivait une histoire, que notre rencontre devait arriver. Déjà, ce sentiment me met en danger, en danger d’attachement!, les coachs amoureux passent leur temps à me prévenir. Mais c’est si rare! Naviguer avec les applications m’a transformée en chalutier japonais qui râcle tout ce qui vit dans son filet de fin du monde, alors que la belle histoire de pêche, elle commence sur une chaloupe, un matin de brume, avec une mouche. Avec A., j’ai l’impression d’une rencontre artisanale, bricolée par le destin.

Je l’invite chez-moi pour un dernier verre. Je suis bien décidée à le mettre dehors de bonne heure — on est dimanche — et surtout à ne rien enlever. Pas même mes boucles d’oreilles ou mes bagues — des gestes que je trouve sexy as fuck. Sur le pas de la porte, il me demande s’il peut m’embrasser. Oui. C’est tout court et très étonnant comme langue. Son doigt glisse fort sur la couture d’entrejambe de mes jeans. Et au revoir.

Le lendemain, il me texte des affaires cochonnes toute la journée, ça le fait marrer de me troubler et de m’empêcher de travailler. 

Le soir, on se met à s’échanger des messages audio, de plus en plus chauds. Il est dans le bain, je l’imagine nu, il me parle de ses kinks , il dit «le sexe que je fais», il préfère dominer qu’être dominé, je lui raconte que j’ai un faible pour les ASMR érotiques et surtout les respirations et les gémissements d’homme, il aimerait me regarder pendant que je me touche, sa belle voix devient de plus en plus basse et ses phrases ralentissent, je lui envoie des respirations, des couinements et des superlatifs, en appuyant de plus en plus fermement sur mon clitoris. Il me répond avec cet audio de deux minutes où il se masturbe en imaginant que je le suce. Il me décrit en détails ce que je lui fais avec ma bouche, ce que font ses mains, comment réagit son sexe, et il se rend jusqu’à l’orgasme, j’entends la magnifique syncope de son souffle quand il explose. 

Ça me touche, je trouve cette offrande magnifique. J’en ai écouté, des audios érotiques, c’est la première fois qu’on m’en offre un dont je suis la muse — ce sera le seul de sa part. Je me réjouis de pouvoir la conserver, la garder en souvenir. (Et après l’émerveillement vient la lucidité. C’est une fellation. La muse? Ne suis-je pas plutôt l’instrument? )

Et puis hier, cinq jours après notre pétillante rencontre sur une terrasse, quatre jours après le télésexe, et après trois jours de textage mièvre («as-tu passé une belle journée?» — à proscrire) mon beau punk de Laval m’a envoyé ce message audio. Verbatim : 

Je me rends compte que émotionnellement, amoureusement, pis tout ça, j’avais peut-être pas …euh…comme on dit sur les réseaux de rencontre, un “passé réglé»… (petit rire)… je pensais que oui… Mais en allant te voir, et en ayant cette conversation avec toi, et tout ça, bien je me rends compte que finalement non. Et je n’ai pas envie de, tsé, de patcher des choses avec toi, de patcher un patchage, pis que ça fasse mal à peu importe, que ce soit à moi ou à toi. 

J’ai passé un bon moment avec toi, j’ai trouvé ça l’fun, pis toute, pis toute. Je ne dis pas que je veux arrêter ça, mais disons que je ne suis pas là où je croyais être rendu maintenant…si c’est une phrase qui se construit, qui se dit, mettons, scuse-moi, je suis fatigué là. Oui ça pourrait être intéressant de se replanifier une rencontre plus tard…question de, je sais pas, laisser aller les choses un petit peu. 

J’ai vraiment l’impression que je ne suis pas dans un bon moment pour commencer quelque chose, où essayer de rentrer quelqu’un dans ma vie comme ça, même si c’est juste de l’amitié ou tout ça, c’est beaucoup de pression, je ne sais pas si tu comprends ça mais…voilà, voilà, voilà…

Je sais qu’ils sont de toutes les saisons, mais on ne m’a pas souvent laissée avec ces mots-là. Les besoins de temps, les pas dans un bon moment, les j’veux pas qu’on se fasse mal. Je suis comme Cyrano, je me les sers à moi-même avec assez de verve, je n’ai pas besoin qu’un autre me les serve. Ils expriment exactement ce que j’ai toujours cru sur moi, que je ne suis pas assez quelque chose pour faire flipper les gars qui me plaisent.

Dieu a créé un monde en 7 jours
J’ai eu le temps en 5
Et même de le faire disparaître
Call me Houdini 

Et le pire, je n’ai même pas eu le temps de terminer mon poème sur lui. Je voulais exprimer la tendresse qu’appelait la présence ensemble de taches de rousseur sur son visage et de tatouages sur ses bras ; je devinais l’enfant qui sur le chemin pour devenir un homme avait choisi de revêtir une armure de dessins. 

Il m’a dit qu’il aimait les stouts impériales. Je bois une stout impériale.

Il m’a dit qu’il aimait l’album de Portugal. The Man avec la voiture en feu.

J’écoute d’un bord à l’autre l’album avec la voiture en feu. 

Ostie, je viens de lui écrire en plus.

On dirait que j’ai envie de t’écrire pareil.

Ça doit être à cause de la stout impériale.

Je passe 30 minutes à attendre une réponse de sa part en me rongeant les ongles et en fixant l’hypnotique point vert à côté de sa photo sur Messenger qui est sensé indiquer qu’il est en ligne. 

Je suis vraiment faible. Alexandre Cormont doit être sur le petit bord de m’excommunier de la Communauté Numéro 1 du Bonheur en Amour.

Je n’aurais pas dû lui écrire, je n’aurais pas dû succomber. Je viens de défigurer ma belle chute — Prends ton temps. xx

Nos derniers échanges auront l’air d’une chirurgie esthétique qui a laissé des cicatrices.

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