
Je dois être la fille la plus tannée au monde de l’expression «être sur son X».
La première fois que je l’ai entendue, j’y ai vu une allusion maladroite, ou ironique, à Indiana Jones dans la bibliothèque à Venise, quand il se fait contredire: oui, Indi, un X parfois indique l’emplacement d’un trésor caché — et finalement c’est un égout plein de rats.
J’ai dû avoir l’air perplexe — ou avoir pris une seconde de trop dans ma tête avec Harrison Ford — parce que l’émettrice a senti le besoin d’expliquer : tsé sur une scène, on met des X en scotch tape au sol pour marquer la position des acteurs? Quand t’es sur ton X, t’es à la bonne place.
Ma tête opinait mais en réalité toute mon âme s’est effarée. Ah oui, certaines personnes éprouvent une telle certitude? Mais qui, qui??, a envie de passer sa vie à l’abri de l’improvisation sur un X que le grand René Richard Cyr du cosmos aurait prévu à sa place? Personnellement, je me sens pas mal toujours sur mon F, comme dans Fuck all. Jamais à la bonne place.
Ou plutôt : je ne les vois pas, les X! Il est de quelle couleur, le tape?
J’aimerais ça, savoir comment on se sent quand on est dessus.
La pauvre fille qui m’a parlé de ça, elle ne sait pas qu’elle m’a injecté un poison. Depuis, et ça fait longtemps, deux idées mutuellement exclusives se battent dans ma tête :
Vais-je-un-jour-trouver-mon-X?
vs
Toute-cette-histoire-de-X-est-de-la-bouillie-pour-les-chats1.
C’est rien de moins que la guerre des mondes. Un autre épisode entre les éternels ennemis paradigmatiques que sont Croyance et Science. D’un côté la pop psycho et son infanterie de promesses, et de l’autre l’implacable logique probabiliste — toute personne qui se déplace raisonnablement longtemps sur une scène finira par être sur un X un moment donné.
Entre espoir et rationalité, à quel dieu me vouer?
La quête-non-quête de mon X a longtemps nourri une crise d’orientation professionnelle chronique. Il y en a qui passent leur journée sur Centris, moi je passais mon temps à regarder les programmes de formation, ou, plus significativement, à me demander si je devais entreprendre une formation.
Les symptômes aigus se sont calmés depuis que j’ai quitté la vie de pigiste. Je me suis donné le droit de «me poser» quelque part. Je laisse les argumentaires voler au-dessus de ma tête et je ne garde que le vrombissement familier du doute, indissociable de mon être, ma «cigarette de soldat» à moi — le doute, ma respiration.
Or le théâtre des opérations s’est juste déplacé. Maintenant, je cherche-non-cherche mon X d’état civil. Il est où, le sweet spot? Célibataire libre, frivole et solitaire ou grande amoureuse capable de dire Oui? Encore une fois, je sais Fuck all malgré que j’y pense tout le temps.
J’ai vu une psy quand je me suis séparée et elle employait souvent le mot «vertigineux». Elle identifiait mon sentiment par du vertige et je n’osais jamais lui demander ce qu’elle voulait dire exactement, comme si ce mot-là pouvait en contenir tellement d’autres. Aujourd’hui je pense que mon vertige, c’est de n’avoir aucune certitude ni direction. Je suis constamment en train de me demander si je voyage ou si je dérive, si je suis assez bien ou si je désire être encore mieux, si j’ai une destination ou un poste d’observation.
C’est la question mère de toutes les questions, la Big Mama de la philosophie : comment dois-je vivre?
Je dois avoir l’âme antique.
Et avis à tous ceux qui l’ont aussi, vous ne trouverez aucun salut dans le grand buffet chinois du dating. Parce qu’avec les app, la perception du grand nombre de partenaires potentiels à proximité diminue notre capacité à nous engager. (C’est du moins le constat de cette étude dont le titre résume tout Swiping more, commiting less.)
Et puis on mange toujours trop quand on va dans un buffet chinois.
Trop de plats différents.
Dont on ne connaît pas les noms.
Et on couronne les excès par une petite perle de sagesse dont la digestion n’est pas plus longue que celle du biscuit qu’on a mangé.
Décidément, cette métaphore est une mine de blagues faciles.
Mon expérience personnelle appuie la thèse de la fragilité de l’engagement des relations qui naissent sur les applis. Ma relation la plus longue a été celle avec Pticopain et je ne l’ai pas rencontré sur une app. Je raconterai l’histoire dans un prochain post. C’est une jolie histoire avec un gentil garçon.
Et si un jour je tombe sur le grand A, bien j’ai trouvé une ressource très appréciée dans le milieu des personnes qui se posent trop de questions. Le secret : il faut juste se poser les bonnes! Pour évaluer la qualité d’une relation sentimentale, allongez-vous quelques minutes sur le blogue du Sofa Sexologique pour faire leur checklist émotionnel. (J’espère que vous pourrez vous relever.)
Je pense qu’avec tout ça j’ai pas mal fait mon deuil des X.
Mais partez-moi pas sur Mercure rétrograde.
1. Je soupçonne cette expression d’avoir été créée par des traducteurs en doublage pour traduire le mot bullshit…
Crédit image : Basquiat
🤣 tu m’as vraiment fait rire et mon dieu, ce fameux X, depuis que tu m’en a parlé je l’entend partout! Et les Checklist émotionnel…. Y’aura jamais de X avec tous ces questions… c’est vraiment un plaisir de te lire… CONTINU!
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