les gars ont tout le temps le goût (1 / 2)


Temps de lecture : 3 minutes

On est quelques mois après la pire nuit de ma vie. 

Avant-midi, jour de semaine, télétravail. 

Pas de meeting devant moi. 

Je décide que c’est le moment. 

Par l’escalier d’en-arrière, je monte chez Tom — le père de mes enfants habite au deuxième et moi au rez-de-chaussé d’un duplex qu’on a acheté il y a 15 ans. 

– Es-tu occupé? 
– Ben je travaille. Pourquoi? 
– J’ai envie qu’on fasse l’amour. 

Ou peut-être: as-tu envie qu’on fasse l’amour? Je me rappelle avoir été explicite mais pas avec quels mots. 

-Quoi? Maintenant??

***

Si je veux choquer, je dis que je me suis séparée pour avoir du sexe. 

Ça ne me fait pas bien paraître. 

Je suis la chair faible de l’adage. 

Je rejoins le prof d’université qui triche son high school sweetheart pour aller dissoudre son spleen, son âge et son fonds de baril séminal dans le premier corps érogène que le démon du midi lui envoie en supervision de thèse.

Je joue dans la même équipe que la comptable qui profite, presque sans scrupule, de la finale de basket de sa fille pour inviter son beau-frère qui la fera presque jouir sur le tapis du salon et qui prend une douche sans savon — c’est l’expérience.

Ensemble, on rejoint tous les autres qui s’adonnent à la gratification rapide — et trop souvent aléatoire — de leurs besoins primaires au lieu de construire patiemment un foyer noble et immuable. On s’aligne le long d’un mur, livrés au jugement des bonnes personnes. 

Avec Tom, tout le reste allait «quand même bien». 

Nous habitions sous le même toit dans nos territoires respectifs, nos corridors de solitudes et nos armoires d’habitudes, nos brumes matinales, sa musique,  toujours, en tout temps, nos visages qui se muaient en mur ou en fenêtres, et ses bras qui étaient ma tanière. 

Quoi blâmer? La maison trop petite, nos personnalités tellement différentes, le champ magnétique des enfants qui absorbe tout, la fatigue? La rareré du sexe qui entraîne le dédain du sexe qui devient le dégoût du sexe qui installe le tabou du sexe? 

L’incommunicabilité. 

À l’intérieur de moi, une question récurrente prenait de plus en plus de place: est-ce qu’on devrait se séparer ? est-ce que JE devrais ME séparer? 

Elle allait devenir, après quelques années, obsédante, débilitante. Pour la faire taire, ça m’aurait pris la force et la résolution de choisir définitivement Tom, la vie avec Tom, et de fermer la trappe. Mais concrètement, comment on fait ça? Tu te lèves chaque matin comme une alcoolique anonyme qui se dit : aujourd’hui je ne quitterai pas mon conjoint? 

Anyway.

On s’est séparés.

(Je me disais, pis je me dis encore, que peut-être, un jour indéfiniment lointain, je pourrai réellement choisir Tom. Un nouveau chapitre débarrassé de la petite voix. C’est le genre de chose qu’on se dit pour apaiser l’angoisse.)

***

Ça doit être de la peur. 

Le temps s’arrête en un quart de seconde, il se brise. Tes yeux s’écarquillent, ton corps pose un geste par réflexe, tellement immédiat que tu te rends compte après de ce qu’il vient de faire, lui, ton corps, sans attendre l’avis de ta conscience. Ici : fermer l’application et cacher ton téléphone dans tes poches. 

C’est carrément de la peur. 

T’étais dans le métro quand c’est arrivé. 

Le profil de ton ex sur Tinder. 

Dans ta face, aussi intrusive qu’un dick pick, la photo de lui sur la plage au Costa Rica. Vos dernières vacances en famille — pas dernières dans les sens de “les plus récentes”, non, dernières dans le sens de “dernières”, de “plus jamais”. 

Tu feeles comme si ta vie était en vente sur un site d’enchères.

T’as pas pu aller plus loin. Ton corps a recraché la situation hors de ta vue. 

Ça te prend plusieurs minutes de vacarme intérieur pour te résoudre à continuer. T’as pas le choix d’évaluer ce profil si tu veux continuer à en voir d’autres — tu apprendras éventuellement que fermer quelques fois l’application sur un profil te permet de recommencer sur une autre face plus tard, mais ça ne marche pas tout le temps.  

Tu te dis que tout le monde a vu ta réaction. Tu te demandes si tu n’as pas émis un petit cri de surprise.

Tu as la chienne de voir que tu vas voir, tu as la chienne de ce que tu vas ressentir. 

Tu la joues poker face et tu y vas.

Il n’a pas mis de photo de lui en chest ou la tête sur l’oreiller. Bravo.

Tu fais des captures d’écran de chaque photo même si, bien, c’est toi qui les a prises. Toutes sauf une, un selfie. 

Tu te demandes si le regard amoureux de la photographe de jadis distille une aura amourable autour de son profil. C’est ton amour qui l’emballe et l’offre à une autre femme comme le plus beau cadeau du monde.

Tu te demandes si tu as fait la bonne affaire.

Tu te demandes pourquoi donc, ça n’a pas marché.

Tu en es presque malade. Étourdissement, nausée.

Tu sors deux stations plus tôt pour prendre l’air. 

En plus, son texte est parfait, bien tourné, avec une touche d’humour. Sans aucune faute. Damn it. 

T’as juste envie de le mettre à droite. 

Mais si vous avez un match? 

Malaise. 

Tu décides de le mettre à droite et de lui faire une blague là-dessus en arrivant à la maison pour désamorcer.  

Ça adonne bien, vous soupez en famille ce soir-là. 

Vous trouvez le courage d’en rire, à l’apéro, pendant que les enfants sont occupés à leurs devoirs.

Toi, m’as-tu vue? Enweille-moi pas à droite, là, hahaha.

Vous êtes bien civilisés. 

Puis la pandémie est arrivée. 

À suivre. 

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