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Attention, ce texte est la suite de celui-ci.
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[Puis la pandémie est arrivée. ]
Tom, les enfants et moi, on est redevenus une famille nucléaire, et plus nucléaire que jamais, pendant que s’installait, ironiquement, une atmosphère néo-antinucléaire — couvre-feu, thésaurisation de biens essentiels et montée du survivalisme. Avec notre «bulle à deux adresses», on était des vrais partners in crime.
(Si quelqu’un pouvait m’expliquer pourquoi les gars sur les apps trippent tellement sur cette expression, partners in crime, en DM svp. Perso, je pense que c’est la petite voix qui leur dit qu’il est plate en esti, leur profil, s’ils ont besoin de le spiker avec un succédané d’allusion à Bonnie and Clyde.)
Le concubinage ne m’a pas empêchée de rencontrer.
Rencontrer dans la nouvelle forme intransitive du verbe. On ne rencontre plus quelqu’un, ou même quelque chose à la rigueur, comme on rencontrait jadis l’adversité ou le succès. Non, on rencontre, point.
Sans C.O.D.
(Sans Complément d’Objet Direct, les Chads.)
En série.
En arythmie.
Je sais que je « rencontre » quand je ne me rappelle pas le nom de la personne avec qui je suis en train de parler depuis une demi-heure, à la table de pique-nique scarifiée d’un parc où je n’étais jamais allée avant.
(En gardant deux mètres de distance parce que l’option du FaceTime me tente pas, pis que je veux pas m’acheter un ring light.)
Mon ex aussi, il avait le droit, de rencontrer.
Un soir, je l’ai vu descendre du balcon avec son vélo. Il avait une date, il me l’avait dit.
Jusqu’à la tombée du couvre-feu, j’ai guetté son retour. Ma fille et moi, on regardait La La Land. Je lui caressais les cheveux en essuyant larme après larme. Fleur savait bien que rien ne justifie qu’on réagisse aussi émotivement à du Jive, du Quickstep ou même du Jitterbug. Je n’étais définitivement pas équipée pour perdre Tom et Ryan Gosling le même soir.
À 20h, Tom n’était pas rentré.
La pire nuit de ma vie venait de commencer.
Il y a plusieurs étapes du deuil dans une séparation. Il y a aussi, parfois, un paroxysme.
Le premier découchage de mon ex, c’est ma descente aux enfers. Une nuit, et le Styx emportait tout : notre Amour, notre Histoire, sa Présence que j’aurais voulu éternelle et invincible, mon Passé, le Présent sur deux étages, le Futur de nos enfants, la Maison pas finie de payer, la Sécurité affective et financière, la Franchise, les Rêves, mon Estime de moi déjà toute grugée, Tout ce que la Vie pourrait me donner, me promettre ou me réserver en surprise.
Pas dormi, pleuré, vomi, paniqué, regretté.
Perdre. Se détester.
J’ai passé la nuit à écrire, au plus noir du désespoir. Cela me demande beaucoup de courage de me relire.
Tu es un Trésor et si j’étais celle qui te découvre aujourd’hui, je ne te laisserais plus jamais partir.
***
J’ai appris que c’est impossible de faire du jogging et de pleurer en même temps.
Je me suis trouvé une psy.
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Éventuellement, la nouvelle freq de Tom a pris le large.
Éventuellement, je suis allée pleurer dans ses bras.
Éventuellement, on a décidé de se donner une deuxième — ou une quarante-huitième — chance.
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Avant-midi, jour de semaine, télétravail.
Pas de meeting devant moi.
C’est le moment.
Parce qu’on habite le même duplex, on n’a aucun moment à deux, en-dehors des heures d’école. Les enfants rodent partout, passent d’un appart à l’autre, sans garde partagée.
J’avais envie qu’on reparte notre vie sexuelle sur une note kinky, inattendue, pour ne pas retomber dans nos anciennes traces — au lit, dans le noir, en silence, les yeux fermés.
Mes plus beaux dessous enfilés, mes dents brossées, mon Teams sur Occupé, je monte au deuxième.
Dire que Tom ne s’attendait pas à ça, c’est un euphémisme.
Ça doit faire quatre ans, la dernière fois.
On s’embrasse debout dans la cuisine, entre l’ordinateur ouvert, la pile de vaisselle et le punching bag accroché au plafond. Rires gênés, gestes incertains, maladresse générale.
Penses-tu que ça va marcher?
Ellipse.
Non, ça n’a pas marché.
L’excitation sexuelle n’est pas l’effet boule de neige. Pour éveiller les sens et gorger de sang les zones érogènes, il y a des accélérants et des breaks. Certaines choses — gestes, paroles, mouvements, musique, contexte, fantasmes, pensées, odeurs, scènes, fétiches — accélèrent le désir, elles nous enveloppent et nous ouvrent en même temps. D’autres nous déplaisent, nous distraient, nous font sortir de la zone.
Avec Tom, dans la cuisine, il n’y avait que des breaks : l’inattendu, la pression de performer, la lumière du jour sur nos corps qu’on redécouvrait avec pudeur, la case horaire…et surtout toute notre histoire intime qui n’allait pas disparaître avec un coup de baguette kinky.
Pire que des breaks, je dirais même qu’on était sur Park.
Il n’y avait aucune conditions gagnantes dans ce plan et j’aurais dû le savoir dès le début. Sur le site Ricardo de mes envies, clairement, celle-là n’était pas « la meilleure ».
Je me suis sentie honteuse, tellement désolée d’avoir forcé quelque chose. D’avoir mis notre intimité à l’épreuve — de l’avoir mise en échec.
On s’est extirpés du lit en essayant d’en rire, avec tendresse malgré tout, et on n’en a plus jamais reparlé.
Le tabou du sexe s’est réinstallé.
Ma psy m’a dit : ce qui distingue l’amour de l’amitié, en général, c’est l’intimité sexuelle.
( 120 dollars pour me faire dire : Hello! On a appelle ça la Friend Zone, Baby! )
Quelques mois plus tard, Tom a trouvé un appart pas très loin de la maison et il est parti.
***
Comme ben du monde j’imagine, je me suis mise dernièrement à réfléchir à la notion de consentement. Je revisite mon passé amoureux avec une flashlight grosse comme le bras qui éclaire chaque relation… dont je peux me rappeler. (Moi pis ma mémoire de linotte).
Je réfléchis à tous les mensonges.
Une fille habillée sexy a envie de sexe. C’est pas parce qu’elle dit non qu’elle ne veut pas dire oui. L’orgasme, c’est la preuve qu’elle voulait. Et tant d’autres affaires malentendues pis anti-sexologiques.
Mais il y a aussi : que les gars ont tout le temps le goût.
Ben non.