Chronique Consommation : EliteSingles

Aujourd’hui, je fais oeuvre utile.  

Parlons de EliteSingles. 

L’application qui se vante de faire mousser la crème de la crème des célibataires et qui va volontiers te permettre de surnager toi aussi sur le petit lait des esseulés en échange de 90 beaux dollars par mois, ou 200 pour trois.

Leur slogan promet explicitement des diplômés. Meet Educated Professionals. En français aussi, ça fait rêver, sans le sceau. Des célibataires ambitieux pour des rencontres de qualité.

Me suis-je reconnue dans cette ambition? Ou étais-je en proie à un élan foufou que les premiers jours de l’année sont experts à susciter? Je me suis inscrite le 2 janvier. 

Mon raisonnement était le suivant : si tu payes pour débusquer ta flamme jumelle, tu ne vas pas niaiser à texter jusqu’à mort d’âme ; tu veux ressortir de là rapidement (en tout cas, moi). Ce n’est pas une analyse nobélisable, j’en conviens, et dans l’échelle entre GBS et intellectualisme, elle serait certainement plus accotée sur Poilièvre que sur Hawkins. Mais quoi de mieux qu’une rhétorique populiste pour nous faire accéder aux cercles d’élite? Là-dessus, Poilièvre botte le cul à Hawkins, solide.

La construction du profil commence par un test de personnalité. L’appli pourra ainsi te présenter les profils compatibles, en fonction de la théorie des Big Five, les cinq traits qui définissent le caractère. Je les ai copiés sur le site de Science et Vie.

OUVERTURE À L’EXPÉRIENCE
C’est le penchant aux rêveries, à l’esthétique, aux sentiments, aux nouvelles idées et méthodes pour trouver des solutions innovantes, mais c’est aussi l’écoute de l’entourage pour s’améliorer. 

EXTRAVERSION
C’est la tendance à éprouver des émotions positives, à rechercher des expériences stimulantes et intenses, la compagnie des autres, mais aussi à prendre spontanément la position dominante dans un groupe. 

AGRÉABILITÉ
C’est la recherche d’harmonie dans les relations sociales, en faisant preuve de confiance, modestie, franchise, sympathie et de sensibilité au bien-être des autres ; mais c’est aussi une tendance à éviter les conflits. 

CARACTÈRE CONSCIENCIEUX
C’est la capacité à planifier, à faire preuve d’autodiscipline et de sens du devoir, à travailler avec ordre et méthode, mais aussi à mettre de côté ses émotions immédiates dans une poursuite d’objectifs à long terme. 

NÉVROSISME
C’est la tendance à ressentir de l’anxiété, de la honte, de la colère et des émotions négatives de manière générale, à surestimer les difficultés et à les ressasser, mais aussi à se dévaloriser au point de se sentir incapable de surmonter les problèmes. 

Puis l’application me demande de préciser l’importance de certains critères de recherche. 

Est-ce que le salaire annuel de mon partenaire est Peu important, Important ou Très important pour moi? (Important). 

Sa consommation de tabac et d’alcool? (Le tabac, c’est non.) 

La distance qui sépare nos domiciles? (Importance inversement proportionnelle à l’attractivité du candidat. Clark Kent à Châteauguay, ok. Hélas cette réponse n’est pas prévue au code. ) 

On ne questionne pas (encore) les utilisateurs sur l’épilation des zones intimes, mon petit doigt me dit que c’est un facteur de compatibilité insoupçonné, peut-être cardinal. Stp EliteSingles, est-ce possible de ne pas m’envoyer au resto avec un gars dont la chatte préférée est un sphinx? Je trouve ça vraiment laitte, les matous à peau nue. Je peux jouir sans cunni de toute façon (au pire). Par contre, je suis macho, et sur l’épilation de monsieur, je cocherais Important. Hé. 

Ma chum Rox était plus outrée de ma confidence sur les cunni que de ma position très inégalitaire (mais hygiéniste) sur les poils. On jasait devant nos sobres mocktails — l’eau minérale est le nouveau thon —, quand elle a qualifié «d’urgence hétérosexuelle» l’obsession des femmes à dater, à chercher l’âme sœur à tout prix. «Pourquoi vous êtes toutes là-dessus? Calmez-vous!»

Je sais. L’armada toutes voiles ouvertes de nos contemporaines est affligeante. 

Je ne peux parler que pour moi. ( « On ne parle que de soi» anyway, c’est ce que disait une animatrice avec qui j’ai travaillé ; elle utilisait très adroitement cet a priori en entrevue, une «vision infrarouge» révélatrice de motifs cachés. ) Avoir un chum me manque parfois, et c’est un sentiment furtif, un frisson, vite passé. Je ne me sens pas en état de manque, bien au contraire. L’agenda déborde, la vie me comble, j’ai le verre affectif toujours plein. Ce sont les applications de rencontre qui m’inscrivent en déficit. Je ne les fréquenterais pas si je ne ressentais pas, Rox a raison, une forme d’urgence. À cause de mon âge. Quand t’approches de la mi-quarantaine, t’entends gronder la grosse Katrina dévastatrice qui s’en vient ravager ton corps et saccager ton écosystème endocrinologique. T’as peur de perdre ton sex appeal ; l’énergie sexuelle qui t’irrigue, l’énergie sexuelle qui magnétise. Bref. Un espèce de backlash de l’horloge biologique — qui fait de toi un premier choix au repêchage pour la grande ligue Élite.

Les micro-agressions ont commencé par des notifications. «Martin a visité ton profil» ou bien Ragnar ou Grand Talent. Mais rien qui ne permette de rebondir sur la notification pour aller, en retour, voir le profil dudit Martin. J’en ai reçu cinq ou six le premier jour, irritée et confuse. Un message? Ah. Ce gars-là existe-t-il vraiment? On dirait du mauvais hameçonnage. J’ai désactivé les notifs.

La suite, c’est qu’EliteSingles a simplement continué à se révéler une parodie d’application, un scam. C’est eux qui devraient nous payer, pour faire de nous les utilisateurs Beta de leur produit. Plusieurs fonctionnalités sont non seulement déficientes, mais impardonnables, quand on imagine l’exorbitance des revenus d’abonnements. 

Un montant que j’aurais préféré garder secret, d’ailleurs. Mon ex m’a texté « J’ai une facture de 206 dollars sur mon compte Apple pour une app EliteSingle. Est-ce que c’est toi?»

Tab****. 

C’est ce qu’Apple appelle « le partage familial». 

J’ai décidé de faire part de mes insatisfactions au service à la clientèle de la compagnie, basée, je l’apprends avec surprise, en Allemagne. Les voici, copiées directement de mon courriel envoyé, pour le bénéfice de tous, de toutes, et de Protégez-vous.  

– Le très petit nombre de profils qui nous sont rendus accessibles (une quarantaine) et ils ne se renouvellent qu’au compte-goutte. Combien de profils pourrai-je voir en trois mois : cent cinquante? C’est un très petit bassin.

– Le grand nombre de profils sans aucune photo. (J’ai même reçu un « sourire » d’un profil vide, sans photo. Really???)

– Dans la rubrique À vous de jouer, il est impossible d’accéder au profil complet des personnes, on doit décider sur la base D’UNE SEULE PHOTO si on veut interagir ou non, et on est, en plus, limités au seul « sourire » car les messages ne sont pas autorisés. Comment voulez-vous qu’on sache avec une photo et un prénom si cette personne nous plaît? Je ne veux pas « sourire » à des gens dont le profil, finalement, ne m’intéresse pas.  

– Et le pire, selon moi, l’absence d’information claire sur les enfants. On veut savoir si la personne a des enfants et combien, c’est la BASE. La mention « être ouvert à la famille » ne veut rien dire! Qu’on est parent ?? Qu’on est ouvert à fréquenter quelqu’un qui l’est? Ou ouvert à avoir d’autres enfants? 

– Cette application HORS DE PRIX n’est pas à la hauteur des produits comparables GRATUITS sur le marché. 

J’aurais pu ajouter « Vous devriez avoir honte », mais je ne voulais pas jinxer mes chances d’être remboursée ; le délai mentionné dans les conditions était dépassé.

C’est mon ex qui m’a confirmé que ça avait marché. Je l’ai remercié « pour l’essai gratuit» et je l’ai traité de chanceux. Il a une blonde maintenant, il est sauvé.  

Cette intrusion express dans le club sélect des célibataires avec un gros chéquier m’a quand même fait comprendre une affaire. Les hommes qui y étaient ne m’ont pas semblé différents, ni plus éduqués, ni plus séduisants, ni mieux dans leur peau. Peut-être même l’inverse. 

Dans le fond, on paye parce qu’on pogne pas.  

(Discutez).

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