« Ton livre donne vraiment le goût de faire l’amour » est le commentaire le plus savoureux que j’ai reçu.
– Mon chum était sorti vendredi soir et j’ai lu toute la soirée. J’avais hâte en maudit qu’il arrive! Quand il est rentré à une heure du matin, il était surpris de me trouver réveillée. Avec des idées en arrière de la tête en plus. Ça faisait longtemps que ce n’était pas arrivé.
De tous les pouvoirs de la majesté, je ne connaissais pas ce dernier. Paraît-il que le chum était bien ébahi.
Évidemment, je suis allée épier dans les librairies de mon quartier le jour de la sortie du livre. J’ai eu une drôle d’émotion en avisant la pile de cinq Majesté, à côté du long accident de char de Joël Martel que je me promets d’acheter pour la fête des Pères (oui, j’offrirai un cadeau au père de mes enfants), entouré du dernier Mavrikakis, d’Abla Farhoud et des mille dangers auxquels Alain Farah semble avoir survécu – ça m’encourage.
Je n’ose pas toucher. Photo du présentoir prise discrètement. Envoi à mes parents.
J’erre sans attirer l’attention, j’espère voir un client ou une cliente saisir mon livre et le retourner pour lire le quatrième de couverture. L’acheter, ce serait le comble.
« Tu dois tripper! Ton troisième accouchement! »
Une amie me texte, avec son timing parfait.
Je dois tripper. Oui. C’est un trip disons, contenu.
Je suis venue ici toute seule. J’ai pas le choix de garder mes impressions pour moi. J’irai pas interpeller le gars à la table des mangas ou la libraire égarée dans les chandelles odorantes en me pétant les bretelles.
Je vois tout de suite la scène à écrire. Ce pourrait être un malaise à la Fleabag; la primo-romancière esseulée s’approche de la libraire à la manière d’une enfant ( « touche, il est doux») en oubliant que les livres ici ne servent qu’à paver le pente glissante qui mène la clientèle à la section Cadeaux. À la fin de l’épisode, on verrait l’héroïne prendre son bain avec une chandelle dont les effluves tiennent un discours, Better than rom coms ou May the bridges I burn light the way.
Autre scénario, on assume le cliché et on imagine un échange entre la jeune autrice décoiffée et le gars des mangas – t’as un trou dans ta mitaine version quarantaine, ou un trait d’humour tellement écrit, récrit, et script-édité qu’il sonne comme une dictée divine sortant de la bouche de celui qui…zut, je le vois partir. Il portait des bermudas. Bon. Manga et bermuda. Un titre qui restera sans histoire.
Je ressens un presque regret de ne pas être avec mes enfants. On aurait pu réaliser tous ensemble que c’est vrai ; soulagés de constater que je n’ai pas inventé ça, le roman publié. Mon fils aurait blagué en slang, avec un nice prononcé noice ou un c’est sick en guise d’exclamation positive. Ma fille m’aurait fermement prévenue de toute action gênante en me tenant le bras à deux mains et en me soufflant des consignes à l’oreille. On aurait laissé nos visages faire toute une gamme de faces, j’aurais probablement versé une larme.
Presque regret pas regret. Car venir toute seule était délibéré – cela fait partie du programme de Célibat Radical à Durée Indéterminée. 100% de la perception m’appartient. Résultat : la joie m’infuse plus qu’elle ne se diffuse. Rien de spectaculaire ; rien de perdu. Un stage d’observation dans la peau d’une introvertie. Peut-être le souvenir sera-t-il plus durable, imprimé plus profond? Embossé – comme la couverture de certains livres présentant du relief?
J’en doute. Penser à mes enfants me fait réaliser que mes souvenirs tiennent à une action. La chose dite, le geste. La scène. Comment pourrai-je, dans quelques années, convoquer l’émotion intense (fierté, excitation, peur) de la jeune femme immobile et muette qui reste plantée devant la banale table de sa librairie de quartier, déjà mille fois visitée? Si seulement je m’étais dit, dans ma tête, une phrase mémorable. Ben non. Rien pantoute.
Je me réfugie dans la section Papeterie et Stylos.
En testant les pointes et les couleurs, je me demande ce qui me retenait de toucher le livre, comme si j’allais y laisser une trace d’ADN coupable. Était-ce la peur de briser la magie de l’anonymat? Ou un sentiment de fausseté à me faire passer pour lambda alors que je suis la personne la moins lambda dans la section Nouveautés québécoises en ce moment – et aussi la seule, accessoirement. Surtout la gêne d’être surprise en pleine apparence de délit d’orgueil, je crois.
Je prends deux stylos violets pour les dédicaces.
Sur une autre table, je remarque l’essai de l’ex-épouse du premier ministre – sont-ils divorcés ? ; elle a gardé le nom de son mari. Une pile de vingt celle-là. Surmontée d’une exemplaire debout pour attirer l’attention. Elle, postée tout près des cartes d’anniversaire, papiers d’emballages, choux, sacs et autres produits à marge de profits élevée. (Je gage qu’elle a son spot garanti jusqu’à la fête des Mères.)
Je me questionne sur la promotion. Comment on parle d’un livre qu’on a écrit?
Le pire serait de sonner peddleuse, une coche trop vendeuse. Et le second-pire, avoir l’air fausse. (Tiens, on y revient.)
Je ne sais comment me prémunir ni de l’un ni de l’autre. Où se trace la ligne exactement? Est-ce qu’une personne qui suscite une impression de fausseté peut en avoir conscience? Personne n’a pour objectif de sembler malhonnête, alors qu’est-ce qui cloche?
Ma consommation abusive de self help me dit que la réponse doit se trouver dans les intentions. Quelle est l’intention profonde derrière le message? Si on prétend poursuivre un objectif alors qu’on en poursuit un autre, on risque de faire buzzer le détecteur de fausseté. Or, on a tous plusieurs objectifs en même temps, dont certains ne sont pas nobles (se faire connaître, préparer sa campagne électorale, faire de l’argent, réparer ou lisser sa réputation, se préparer le terrain pour une prochaine carrière, etc.) Comment s’assurer qu’on parle “de la bonne place”?
Pourquoi j’ai écrit ce livre?
Donner envie de faire l’amour figurait zéro dans mes intentions, et justement, je crois que c’est exactement mon intention. Donner envie de faire l’amour. Au propre comme au figuré. Ce n’est pas seulement sexuel. Donner envie de faire l’amitié. Donner envie de se prendre dans nos bras.
J’ai une copine qui vient de terminer l’écriture de sa thèse. Elle m’a envoyé le texte. J’ai eu la surprise de me découvrir nommée dans les remerciements. “…For teaching me the value of determination, independence and radical acceptance”. Wo. Je ne savais pas que j’éveillais ces qualités chez-elle. Ces trois-là. Précisément. Le comptoir en granit d’un îlot de vingt pieds des qualités. (Je regarde trop de shows de rénos).
Ma copine a mis des mots sur quelque chose. L’acceptation radicale. De qui on est. De ce que les autres sont. Du passé. Des trails que la vie nous fait prendre. Ça a l’air que j’enseigne ça, par inadvertance. Est-ce qu’on peut appeler ça une intention?
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En fait, on projette chez les autres ce qui nous manque. Ensuite, on s’inspire d’eux. Les qualités n’ont même pas à être avérées. Ma brillantissime copine a trouvé par elle-même ce dont elle avait besoin.
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Ces jours-ci, je reçois plein de photos d’ami.e.s qui ont acheté, lu et promené Majesté. Jusqu’à Cuba. Beaucoup de messages aussi. Majesté se lirait d’une traite – un mot qui me fait penser à la “traite” des vaches. C’est vrai qu’il se mange comme des chips, avec ses chapitres tout courts. En tout cas, je souhaite à tous les auteurs que leur lancement de livre soit suivi d’une fin de semaine de pluie.