Eschatologie


On les appelait les romans eschatologiques et on les étudiait dans le cours Littératures de la fin. Je lisais Bruits de fond de Don De Lilo, parce que Sur la Route de Cormac McCarthy n’était pas sorti. 

Eschatologique, ça sonne comme la logique de l’escalade, et si tu possèdes le bon décodeur, le catastrophiste, tu entends le vertige, tu devines le perte de contact. L’eschatologie ne promet rien d’autre qu’une épique dégringolade. Le prof a dû débuter son cours en précisant que le mot vient du grec, eskhatos : dernier ou dernière. On allait passer la session entière à regarder la mort dans le blanc des pages. Et pas la mort cosmologiquement insignifiante de l’individu. Les littératures de la fin imaginent les événements qui pourraient pousser l’humanité au complet ou en bonne partie à l’extinction, forçant la fin de son règne ou un changement de civilisation. 

C’était la session d’hiver 2001 – et l’esprit de Stanley Kubrick planait sur nous. Kubrick a vraiment plané big time cette année-là ; bien sûr tout le monde voulait voir ou revoir L’Odyssée de l’espace une fois pendant l’année, à la Boîte Noire, ils en avaient quatre copies, les cinémas de répertoire présentaient le film ; mais le réalisateur aussi visionnaire que décédé avait commencé à nous décocher des petits sourires sardonique de l’au-delà dès 1999, quand on avait eu peur d’avoir peur du bogue de l’an 2000. Son HAL avait pitié de nous. On allait être faciles à oblitérer.

Ça a duré un bout, la hantise de Kubrick au tournant du millénaire, et puis elle a été exorcisée d’un coup, le 11 septembre 2001. N’en déplaise aux artistes du suicide spatial, la crise civilisationnelle allait rester terrestre encore un peu. Je soupçonne le cinéaste d’avoir continué à exercer son influence en sous-main, directement sur Elon Musk, pendant que l’Occident entrait dans sa croisade anti-terroriste.

Il y avait aussi des romans teintés par la menace nucléaire, dans le corpus, et par la Guerre Froide. Il y avait des météorites en direction de la Terre. On aurait pu friser le super-héroïsme mais on ne s’en approchait pas, par snobisme ou délit d’érudit. J’en voulais au prof d’avoir omis de mettre sur la liste des lectures recommandées Le Fléau de Stephen King. Je l’avais lu deux fois, peut-être trois, pendant mon secondaire. 

Un virus s’échappe d’un laboratoire en raison d’une erreur humaine. En quelques semaines, la super-grippe tue 95% des gens. Les survivants cherchent à recréer des communautés dans un monde puant de cadavres et privés de ses chaînes de production. Deux villes se repeuplent, animées par des esprits contraires, l’une par le Bien, l’autre par le Mal, préparant leur affrontement inévitable.

Quand j’étais jeune, je trouvais très vraisemblable la trame du virus – un morceau de robot pour ma clairvoyance – et farfelu le schisme entre les survivants – morceau de robot perdu. 

Ce n’était pas une simple construction scénaristique de la part de Stephen King. C’était une démonstration philosophique.

Les catastrophes nous désunissent. 

Emoji qui baisse les yeux. 

Les catastrophes nous poussent à nous armer, à barricader nos biens plutôt qu’à les partager. 

Emoji facepalm.

***

Je survole le rapport Perturbations à l’horizon qu’un organisme gouvernemental canadien a publié il y a quelques semaines. Oui, c’est ça, survole, Majesté, ne te pose surtout pas. Reste détachée

Les Zoltar en cubicules ont eu le génie de noter chaque perturbation – méchant euphémisme – par deux indices : la gravité de son impact (sur l’axe du x) et la probabilité qu’elle survienne (sur l’axe du y). Le tout accompagné d’une prévision temporelle – c’est pour quand? 

Voici celles qui se trouvent dans le cadran en haut à droite. 

Traumavertissement.
Si vous pratiquez le déni, ça se peut que vous vous sentiez comme si une grosse crisse de roche venait faire éclater votre windshield pendant que vous chantiez Quelle belle vie de Gilles Rivard.

« Les gens ne peuvent pas dire ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. » Dans 3 ans. 

« La biodiversité disparaît et les écosystèmes s’effondrent. » Dans 7 ans.

« Les mesures d’urgence sont débordées. » C’est-à-dire celles mises en place pour contrer les catastrophes naturelles, les migrations de populations, l’appauvrissement des conditions de vie, etc. Dans 6 ans. 

« Les cyberattaques perturbent les infrastructures essentielles. » Dans 4 ans. 

« Les milliardaires dirigent le monde.» Dans 5 ans.

Je m’arrête ici parce que j’ai peur que vous fassiez un accident.

On s’enligne collectivement
pour un gros accident. 
Personne panique.  

Le téléphone rouge sonne. 
Quelqu’un d’autre va répondre.  

Ils annoncent 35 degrés AU MERCURE mercredi. 
Le jour de la fête de mon fils. 
Il hésite à inviter ses amis à la maison ou au parc. 

« Il fait trop chaud pour faire la fête.» Dès maintenant.

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