Je ne serai pas là pour voir ça.
Il faut entendre le soulagement dans la voix de ma mère.
C’est pas à cause des wokes qu’on ne peut plus rien dire, c’est parce que tout va mal qu’on ne peut plus jaser de rien.
Sur tous les fronts, les nouvelles sont mauvaises.
Je viens d’une famille de rhéteurs. Ça parle de souveraineté au déjeuner, de Vladimir Poutine au dîner, du troisième lien pour souper. Mes parents me parlent de plus en plus de Santé parce que l’âge, tsé.
Ma mère a les doigts gelés par le syndrome de Raynaud, mon père est suivi pour autre chose dont il ne veut pas parler, en tant qu’homme de sa génération. De mon bord, entorse lombaire et feu sauvage. Rien de grave, tant mieux. Car j’ai été larguée par mon médecin de famille. La fille sortait de l’école, elle a été là cinq ans, puis pouf, elle quitte la clinique. On est quatre à rejoindre la communauté des orphelins du système. Et puis quelques mois plus tard, re-pouf, ma fille reçoit une lettre. Elle a de nouveau un médecin dit de famille qui, ironiquement, ne veut pas du reste de sa famille.
Et tout cela, dans une clinique opérée par le privé. Ici, au royaume de la carte-soleil, où le budget de la Santé est passé de 22 milliards en 2004 à 40 milliards en 2018 et dépassera les 60 milliards cette année – une augmentation de 50% au cours des six dernières années seulement.
Nous qui sommes dans la fleur de l’âge aujourd’hui, nous allons vivre une longue période de dégradation des services et de notre qualité de vie. Longue comment? Je sais pas. Il faut s’y attendre, il faut s’y préparer.
C’est là que ma mère dit : Je ne serai pas là pour voir ça. Heureusement.
Pour elle, mourir dans la dignité, c’est mourir avant l’effondrement.
Pour moi, mourir dans la dignité, ce serait savoir qu’on a réussi à ne pas tout perdre ce que nos parents se sont battus pour obtenir.
Mourir à 91 ans, en 2070, dans un Québec qui parle encore fièrement le français dans ses médias et ses milieux de travail. Un Québec qui protège farouchement ses terres agricoles et ses agriculteurs pour garder une certaine indépendance alimentaire. Un Québec super efficace énergétiquement, où les transports en commun sont accessibles et fiables. Un Québec social-démocrate. Un Québec qui offre à tous les enfants une éducation gratuite, universelle et laïque. Un Québec qui permet aux femmes de choisir si elles veulent donner naissance à un enfant. Un Québec qui offre à ses citoyens des soins de santé de proximité, à l’image de nos CLSC chéris, inventés et implantés par les baby boomers humanistes et visionnaires, et qui maintenant meurent ensemble de leur belle mort.
J’aimerais ça, qu’on laisse pas tomber les luttes qu’ont menées nos parents pour nous.
Au lieu de porter la blessure d’avoir déçu ma mère ou mon père, les entendre me dire : je suis déçu de ne pas pouvoir vivre plus longtemps pour voir ça.
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INVITATION !!
Si vous visitez le Salon du Livre de Montréal la semaine prochaine, venez placoter avec moi! J’avoue que j’y prends beaucoup de plaisir. Chaque conversation est une bulle, et avec les personnes que je ne connais pas, c’est même un petit voyage. Un univers qui s’ouvre.
Au kiosque des Éditions XYZ:
Jeudi 28 novembre de 18h à 19h30
Vendredi 29 nov. de 13h30 à 14h30 + 16h30 à 17h30
Dimanche le 1er décembre de 14h à 15h
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Crédit de l’oeuvre : Carl Schaefer, Maison de ferme ontarienne, 1934.
Bcp aime ce texte.
Oui on assiste à un effondrement. Et je sens que notre génération on est coupable. Quoi faire? Faut poser des gestes, mais lesquels….
Je dépose ça ici. Avec toi
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Allô Édith! Cette question m’obsède. J’aborde une histoire d’engagement dans mon prochain roman, je suis rendue à 40 pages, ça avance…)
Je partage avec toi un échange que j’ai eu avec un lecteur de mon blogue. Un optimiste environnemental.
Après le billet sur Seattle, il m’a écrit ceci :
Bonjour,
Votre dernier blogue demande un réveil, sortir de notre apathie. Je me suis dit que j’essaierais de répondre à certaines inquiétudes. Je vais uniquement parler de ce que je connais: l’environnement.
(Note: je termine une maîtrise en environnement. Ma mini-thèse de fin d’études porte sur l’utilisation de l’IA pour améliorer l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement dans les municipalités. Je suis un optimiste qui croit que la technologie peut (un peu) aider la protection de nos lacs et rivières, de nos forêts, de la biodiversité.)
1) La décarbonisation des transports est en cours, même si elle progresse à pas de tortue. Ma nouvelle voiture est hybride, ma voisine possède une voiture électrique depuis quelques années. Quand c’est le temps de remplacer leur voiture, mes collègues achètent des voitures électriques ou hybrides. Ce sont des anecdotes, mais les statistiques le confirment. Année après année, il y a plus de voitures hybrides ou électriques au Québec. On n’atteindra pas les objectifs de 2030, mais on avance dans la bonne direction.
2) Un effet secondaire peu connu des changements climatiques est l’augmentation de la biodiversité dans les pays nordiques. Nos hivers sont moins froids, ce qui a pour effet que les espèces animales agrandissent leur territoire vers le nord. Un exemple récent: l’opossum de Virginie qui s’établit au Québec. D’autres espèces suivront. À la fin du siècle, à Montréal, nos petits-enfants verront régulièrement les espèces animales qu’on retrouve aujourd’hui dans le sud de la Pennsylvanie. Les espèces qui vivent aujourd’hui dans la vallée du Saint-Laurent étendront leur territoire vers le Lac Saint-Jean. Nos petits-enfants assisteront à une grande augmentation de la biodiversité au Québec.
Et après mon plus récent billet, ceci :
Merci aussi pour votre beau message d’espoir pour 2070. Ce que vous souhaitez me semble tout à fait réalisable. J’irais plus loin au niveau de l’agriculture et de l’indépendance alimentaire. Je fais pousser des poires et des framboises dans ma cour. Je cueille une partie des poires pas mûres en septembre, je les mets au réfrigérateur, et elles se conservent jusqu’en décembre. Au déjeuner, je mange mes poires, sucrées.
Je parle de ça car, avec les changements climatiques, on fera probablement pousser aussi des pêches et des nectarines près de Montréal en 2070. Le Québec aura peut-être une plus grande indépendance alimentaire qu’actuellement. Une plus grande variété de fruits et légumes locaux dans nos marchés. Plus besoin de demander si ce fruit vient des USA ou de l’Ontario. Il viendra peut-être d’un verger à moins de 50km.
Je suis un optimiste!
Je retourne à la rédaction de ma mini-thèse, devant mon écran. Je vous souhaite une fin de journée ensoleillée.
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