Les réveille-matin sont invariables au pluriel.
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Mon fils est assis sur le divan. Au beau milieu du salon, vestiges d’effeuillage, mon jean ravalé avec la petite culotte rose qui s’évente céans ; celle-ci dans celui-là, si parfaitement alignés que les jambes qui les ont senti glisser pourraient aujourd’hui les enfiler d’un seul mouvement. Mon soutien-gorge fleuri et mon t-shirt complètent le trajet érotique du Petit Poucet – mais où sont les chaussettes?
– Es-tu venu en vélo? Tu travailles à sept?
Je ramasse les pièces incriminantes en faisant mine qu’il n’y a rien là, des bobettes open space. Mon fils n’est pas dupe. Au deuxième, sa bibliothèque contient l’intégrale des aventures de Sherlock Holmes.
Quand il est chez son père, Gros Chat passe toujours me voir quelques minutes avant son shift à la boulangerie, à deux portes de chez-moi.
Il vient d’avoir dix-huit ans. Jeudi.
Il a une mère qui fait l’amour avec ses bas.
Au moins, j’avais enfilé un peignoir avant de sortir de la chambre.
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Première nuit chez Lui.
(Inventons à Lui une identité pour le blogue. Disons mon genre de Kurt Russel édition Tango et Cash mais avec des lunettes. )
Un quatre et demi flambant neuf dont il est le premier occupant.
Odeur de peinture. Corridors d’hôtel. La terrasse et la piscine sur le toit devaient ouvrir la semaine prochaine, sauf que : vacances de la construction.
À cinquante-cinq ans, Kurt laisse derrière lui la maison familiale et trente ans de consommation pour se nicher au dixième étage d’une tour. N’emportant que ses vêtements, trois-quatre cadres et les couteaux japonais. Grande vidange. Nouvelle vie d’ange.
Garde partagée. Deux semaines, deux semaines. Le chien en annexe des bagages de la jeune fille.
Ce soir elle n’est pas là. On réussit à garder toutou en-dehors de la chambre, le temps de faire l’amour. Il gratte à la porte et jappe en modulant ses efforts aux nôtres.
Le matelas, neuf, taillé dans la pierre. Oreillers à peine assez épais pour n’être pas des napperons. La clim crée un jet d’air froid qui traverse la pièce sans la tempérer. Elle attaque mon cou pendant que tout le reste de mon corps fournaise. Je me découvre princesse, et princesse irritable.
Je dors enfin.
Une sensation froide et soudaine me réveille. Le chien me lèche le mamelon. Plus tard, ce sera les orteils. La main.
À défaut de bien dormir, je me lève encore plus tôt que d’habitude, résolue à écrire. Je me fais un café, improvise une table de salon avec une boîte encore tapée et je m’assoie en tailleur sur le divan rebondi. Phoque. Je ne connais pas le code du wifi. Aucun nuage.
Le ciel bleu et la pièce vide font écho aux cris muets de mon désoeuvrement.
Ma conscience devient le seul processeur allumé. L’absence de confort peut-elle me contrarier à ce point? Oui, visiblement. La question est pourquoi?
Je boude, je peste. Je décide de prendre une douche pour laver mes cheveux et la mauvaise nuit – en prélevant à l’absente une paume de son masque restructurant à la kératine Ice Cream aux couleurs gourmandes qui était posé sur la vanité.
Lorsque j’en sors, ma chevelure mouillée ne fait qu’aviver mon envie pressante de partir. Il est 6h30, je collecte furtivement mes boucles d’oreille, mon linge, mon ordi. Le chien me regarde passer la porte telle une voleuse qu’il n’a pas la mandat de coincer ni retenir – et sans me signaler que j’oublie mes verres fumées.
La côte qui mène à la rue Sherbrooke est bien plus facile à monter en vélo quand on est en crisse ou en crise.
En crise de quoi, sérieux?
L’ensemble du grief pourrait se résumer ainsi. Ça ne me convient pas. Me coucher à minuit-une-heure un soir de semaine ne me convient pas. Boire à chaque fois qu’on se voit ne me convient pas. Dormir avec le chien ne me convient pas. Ne pas avoir d’espace le matin pour écrire ne me convient pas. ( Je ne sais pas si la princesse devrait inclure le matelas et l’oreiller dans le compte-rendu officiel. N’existe-t-il pas la séduisante possibilité d’un échange gratuit dans les trente jours? )
Il y a de l’immaturité dans ma fuite. Assurément. (Je ne porte pas mon casque pour laisser mes cheveux sécher et friser au vent, mais c’est pas de ça que je veux parler.)
Si j’étais une bonne personne, j’aurais ressenti de la tendresse pour l’homme qui humblement m’invite à partager avec lui ce moment de dépouillement. J’aurais fait une blague sur le réveil-mamelon au petit lever. Dévoyée de mon intention d’écrire, je serais retournée me blottir contre son corps sous les draps. Je n’aurais pas gâché, gros bébé éléphant, ce premier matin aux éclats de porcelaine.
Mais c’est une preuve de maturité aussi. Je sais que ma colère dépasse outrageusement la gravité de la situation. Et je ne m’aime pas quand je réagis comme ça. Ma fuite sert à éviter une scène où la pire version de moi allait se lancer dans une tirade bazooka. Je me protège, je le protège. (Au passage, nostalgie pour une époque où l’arme la plus dangereuse était un gros canon carré qui portait le même nom qu’une gomme balloune. Those were the days.)
Mon arrivée à la maison a l’effet d’une caresse. Ici, blottie dans mon nid et en sécurité, la vraie question enfin peut être formulée. Mon inconfort physique n’est-il pas le symptôme d’autres inconforts dans la relation? Évidemment.
Une réponse si simple.
Des sentiments si compliqués.
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Sept-Îles.
Maillot enfilé au saut du lit.
La mer à quelques pas.
Avant le café, l’eau salée.
(Baptêmes.)
Les plus belles plages
Sauvages
sont sur la Côte-Nord.
Je veux juste vous le dire.