Pourquoi vous vous êtes séparés?
Comment répondre à ça? Parfois, il y a trop de raisons pis c’est comme donner un nom à chaque raisin dans la boîte de Raisin Bran, pis après 10 minutes, ne pas te rappeler si t’as déjà utilisé Manon ou Rigodon. Et s’il y a juste une grosse fatadique raison, ça vient juste te rappeler que t’as pas su t’occuper de la seule affaire qui comptait et qui a finalement fait foiré ta vie.
L’image que j’ai le plus utilisée pour expliquer comment ça s’est passé pour moi, c’est celle de la voiture qui s’écarte de la route. La déviation est infinitésimale, il n’y a que le temps pour la faire apparaître. Tu vois que tu t’approches de la ligne blanche, et c’est rien. Tu vois que tes roues la traversent, et c’est rien, tu peux en profiter pour arrêter et ajuster le pare-soleil des enfants en arrière. Tu vois que le gazon s’approche et pis quoi? ça va juste être plus moelleux sous tes roues, tu penses qu’après le pique-nique, t’auras qu’à partir à rire, tourner un peu le volant et reprendre la trajectoire qui te mène au pont, ou au chalet ou au Village des Sports. Mais tes yeux regardent juste la forêt le long de la route, la belle noirceur animale qui féconde tes idées de toutte crisser là, et parce que tes yeux regardent là, ton char s’en va là. (D’ailleurs c’est une leçon largement sous-estimée : à cheval, en bécyk, en char ou juste dans la vie : regarde où tu veux aller. Le mouvement va suivre.)
Bref, vous voyez l’image.
J’ai rien fait pour redresser la direction. Rien fait de soudain, rien fait de délicat. Tout le monde pouvait voir qu’on s’en allait dans le champ.
C’est moi qui conduisais en plus.
Mais quand la métaphore has left the building, ce que je ne dis pas, c’est que j’ai quitté le père de mes enfants…pour le sexe.
On n’en avait plus. Pis moi, j’en voulais, du sexe, dans ma vie.
Ça me mortifie.
J’ai désuni la famille, désécurisé mes enfants, quitté mon meilleur ami, accepté de devenir quasi-pauvre, semi-seule et de me mettre en marché sur les applis de rencontre…pour du sexe ?
Coudonc qu’est-ce qu’y mettent là-dedans?
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Ma psy m’a dit : « en général, ce qui distingue l’amour de l’amitié, c’est l’intimité sexuelle».
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La Baie. Rayon des parfums pour homme.
Quand j’étais jeune, mon père portait Farenheit.
Il avait un désodorisant Farenheit qui faisait chic, en bâton à bille ronde.
Je le portais.
J’espère ne jamais sentir cette odeur à nouveau. J’ai peur aujourd’hui de ne plus aimer le parfum. Et s’il était objectivement cheap?
J’espère en même temps retomber sur un flacon de Farenheit. Car je retrouverais l’odeur de mes aisselles d’enfant de 12 ou 13 ans.
Le souvenir de ma relation d’ado avec mon père.
On cherche Terre d’Hermès pour le chum de Mi.
Hermès, le messager des Dieux.
Ça me semble bizarre de lui associer le mot Terre. Terre d’Ulysse, terre de Ménélas. Mais Hermès est un commis voyageur.
Vous n’avez pas Valise d’Hermès? Quelque chose qui sent le cuir et la fuite. L’ailleurs pour femme.
Il faut que j’arrête, avec ma mythologie grecque.
Je trouve ça magnifique que mon amie achète un parfum pour son chum, juste de même, en passant devant chez La Baie.
Mon pticopain m’a offert 2 fois des fleurs. La première fois des roses. Je ne dois jamais oublier ce détail. C’était un joli matin au marché Jean-Talon. Il m’a demandé mon consentement pour un bouquet.
Aimes-tu les fleurs? J’aimerais ça t’offrir des fleurs.
C’est lui qui a choisi les roses rouges.
Sur Ste-Cath, Mi me demande : mais si ton ex et toi, vous étiez allés voir un sexologue?
C’est long à expliquer. Nos corps s’aimaient. Mais c’était du sexe les yeux fermés. Quelque chose qui nous menait chacun à l’intérieur de nous-mêmes. L’immense pudeur, le silence, l’incapacité à dirty-parler, à dire ce qui nous plaît, la gêne à prononcer jusqu’au nom des parties de notre corps, la répétition des mêmes gestes, puis les enfants, et je n’arrivais plus à être cochonne, à faire exister dans le même corps la Mère et la Putain. Comment tu peux enfourcher un homme, geindre, spanker, rire ou faire cogner le lit contre le mur avec des petits êtres constamment aux aguets avec une doudou dans les mains?
On n’a pas fait l’amour pendant des années.
J’ai reparti ça sous un autre nom, j’étais asexuelle, libérée des injonctions, en état de grâce dans ma privation. Jusqu’au jour où.
Alerte au cliché.
Jusqu’au jour où on a fait faire des rénovations à la maison. Est débarqué avec ses bottes de travail et son odeur de bois un bel animal qui avait tellement de millage de cruise à son actif qu’il pouvait me faire rougir en me parlant d’entrées électriques ou de plancher huilé. On jouait à Modèle nue posant pour Renoir en mode allégorique.
La nuit, j’étais réveillée par des bouffées de désir presque cruelles, que j’exorcisais en me masturbant.
On n’est pas allés, voir un sexologue.
On se rappelle la voiture qui dévie lentement de sa trajectoire.
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Regarde toujours là où tu veux aller.
Regarde l’autre dans les yeux quand vous faites l’amour.
Crédits image: Nicolas Party, Exposition L’Heure mauve au MBAM