3 octobre
J’ai découvert le terme anglophone limerence.
C’est l’état passionnel qui nous habite quand on tombe amoureux.
Wikipédia spécifie que «le concept est devenu populaire dans les ouvrages de développement personnel américains» malgré qu’il ne se soit pas «imposé dans la littérature scientifique».
Sur le web, le terme est surtout employé pour parler de la version pathologique de la «limérence» : l’obsession amoureuse.
Limerence, c’est un peu comme roadkill, il n’y a pas d’équivalent satisfaisant en français.
5 octobre
J’ai le choix entre aller visiter ma tante qui ne va pas très bien, qui «diminue» aux dires de mes parents, ou aller rencontrer un gars qui s’appelle Myles sur Hinge. J’hésite.
La date tombe à l’eau mais je ne vais pas voir ma pauvre tante.
6 octobre
Je réinstalle Tinder.
J’envoie valser à gauche vingt mecs en trente secondes. Le dernier a écrit en guise d’introduction sur son profil «Bonne chane», en oubliant le c je suppose.
Je désinstalle Tinder.
7 octobre
Je me demande chaque jour si je ne devrais pas reprendre avec le père de mes enfants.
C’est l’automne.
9 octobre
J’ai un grattement de culpabilité d’avoir utilisé les mots «vermine» et «rodent» (rongeur, en anglais) à propos de mon tourmenteur. Je témoigne le plus fidèlement possible des situations, de mes réactions et de mes pensées.
Est-ce humiliant pour lui? Le sera-ce, le serait-ce, s’il advenait qu’il me lise ? Ai-je l’air de me venger?
Veux-je me venger?
C’est si rare qu’on utilise la forme interrogative «veux-je».
Elle pointe une flashlight sur nos motivations profondes. Peut-être qu’on ne veut pas ça.
10 octobre
Je suis allée prendre un verre au Projet Pilote sur Rachel avec un double match (un match sur Facebook Rencontre et sur Hinge). Un gars qui a recyclé son bac en psycho pour fonder une agence de pub. La conversation va toute seule.
Il vient de la Beauce.
Tous les deux, on connaît ça, «la campagne».
Il a un petit crush sur les noms des fermes. Parfois, c’est la contraction du prénom de l’agriculteur et de sa femme, ou de deux patronymes.
Il a noté dans son téléphone celles qu’il croise quand il va visiter ses parents.
Jolu
Gagnol
Labbé & Labbé
Carhol
Bilodeau
Luma
Niclau
Il ajoute le nom de la ferme où j’ai grandi en bas de la liste.
11 octobre
Un ami me raconte à quel point il a du mal à trouver des employés de qualité. «Un sur trois que tu engages ne se pointe même pas à son premier shift. Les deux autres te lâchent après deux semaines.»
Les engages-tu sur Tinder coudonc?
13 octobre
Je suis convaincue qu’une obscure ligne de code empêche la femme ménopausée d’obtenir des matchs sur une app de rencontre.
Une ligne de code dans le JavaScript qui torpille ton Elo score.
Une ligne de code dans la fantasmagorie masculine qui court-circuite la libération du monoxyde d’azote dans le pénis pour bander.
Une ligne du code de vie en société qui stipule que ce n’est pas convenable de jouer les chattes à 50 ans.
Une ligne de code dans le tabou de l’inceste qui doit empêcher la femme de tomber sur le profil de son fils quand elle magazine un homme.
Il me reste 7, 8 ans.
Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable.
15 octobre
Je fais un amalgame entre les milléniaux que les médias traditionnels n’arrivent plus à rejoindre et le focus group de mecs qu’est Tinder.
Il faudrait plus d’émissions sur le fitness, la moto, le surf, les chiens et les relations non-monogames.
16 octobre
Passé la nuit à lire Quand viendra l’aube.
17 octobre
J’ai plus de succès à ouvrir des huîtres qu’à obtenir de mon fils qu’il me raconte sa journée.
Aujourd’hui, une demi-douzaines d’huîtres avec Chablis pour moi toute seule contre un examen de math qui a bien été.
18 octobre
La grande majorité des gars qui me likent sur Hinge ont entre 23 et 35 ans.
WTF, les Chads*?
Des fois, j’en like un mais il n’y a jamais de surprise. Ils fantasment tous d’avoir du sexe avec une femme mature et ils ne passent pas par quatre chemin pour l’exprimer.
(Je serais bien en mal de dire ce j’attends d’autre de leur part ; qu’on achète ensemble un condo dans Griffintown avec piscine sur le toit?)
C’est lassant et l’effet de la dopamine par la flatterie dure de moins en moins longtemps. Me voilà accoutumée.
Zakary, 25 ans, déclare dans sa clip audio : Searching for a girl that ain’t playing games. These are rare nowadays.
La crise de la rencontre amoureuse touche toutes les générations.
PVI : Un “Chad” (prononcer avec un t au début), c’est un mâle alpha.
Merci mon ado de m’instruire.
19 octobre
Un jeu préféré de mon enfance : imaginer qu’on m’observe, plus précisément, qu’une personne de sexe masculin m’observe et me convoite.
Un scénario récurrent : je suis une danseuse de renom et j’accueille les joueurs des Nordiques (!) à mon studio pour un entraînement spécial (!!) que je vais diriger. À leur arrivée, ils assistent à ma chorégraphie sur The Power of Love (!!!) derrière des miroirs sans tain (!!!!) qui m’empêchent, moi, de savoir que je suis observée.
Les choses gênantes sont les plus divertissantes.
Mes autres souvenirs le sont moins — gênants, divertissants. Dans l’autobus pour aller à l’école, je fais semblant que Daniel, le «karaté kid», me dévore du regard et me trouve superbement belle, en ramassant son petit change de courage pour venir me parler ; plus tard, quand j’ai eu mon permis de conduire, j’ai eu comme passagers tous mes kicks d’adolescente. Ce regard fantasmé ajoutait un petit supplément d’âme aux moments de solitude, nombreux.
Cette lubie m’a passé à l’âge adulte. Elle est revenue depuis que je suis célibataire. Il m’arrive de marcher / courir dans la rue en imaginant que telle ou telle personne est assise dans un café / sur un banc de parc, et qu’elle éprouve sur mon passage une bouffée de désir / d’admiration pour la femme alpha que je joue à être.
Est-ce que c’est ça, le male gaze? Ou le male gaze intériorisé peut-être?
20 octobre
Une vingtaine de fois par jour, je regarde si par hasard quelqu’un (au masculin) ne m’aurait pas écrit, sur Messenger, sur Hinge ou par texto.
Un petit point rouge avec le chiffre 2 à l’intérieur déclenche un petit buzz de fight or flight.
«Mes billets de théâtre sont dans le livre.»
«4billets».
C’était ma mère.
22 octobre
Après notre très chouette première rencontre, mon beau Beauceron et moi, on s’écrivait de jolis textos.
Puis, de manière complètement inattendue, nos deux conversations sur Hinge et Facebook Rencontres ont disparu.
Il m’a unmatchée.
Cet effacement m’humilie, me mystifie, me met en ostie contre cette gachette annihilatrice qu’on utilise pas-de-permis. Je ne peux même plus relire nos échanges pour tenter de comprendre.
Effacée, effacé, effacés.
Mais peut-être pas complètement.
Je reste encodée au chaud dans le creux de sa main, subtile et initiatique, telle un nom de ferme du Bas-St-Laurent parmi des noms de fermes beauceronnes.
23 octobre
Je vais au théâtre avec ma mère et ma tante. On prend l’apéro ensemble. Ma mère confie qu’elle regrette de n’avoir jamais réussi à «être elle-même» parce qu’elle n’est «pas capable d’affronter le regard des autres».
C’est le verbe affronter qui me touche.
Comme si le regard des autres ne pouvait être qu’hostile ou dubitatif.
Runs in the family I guess.
24 octobre
J’ai créé une publicité pour Majesté sur Facebook.
Je coche l’âge entre 25 et 55 ans, le sexe féminin, je pin-point la région de Montréal, mais ça se complique avec les écoles fréquentées, les pages aimées, les intérêts…Je finis par calquer ma propre identité.
Bien sûr, je cible en premier ceux qui sont célibataires, séparés ou It’s complicated.
À veuf, j’ai hésité.
J’ai eu deux dates avec un veuf de 38 ans. Après la première rencontre au Parc Jeanne-Mance, il est revenu chez-lui et il a regardé longuement la photo de sa femme, décédée d’un cancer du sein quelques années plus tôt. S’il avait pu, je crois que c’est avec elle qu’il aurait aimé avoir une autre rencontre.
Pour une valeur de 35 dollars, Facebook estime que j’obtiendrai entre 66 et 151 «interactions».
25 octobre
0 interaction.
26 octobre
0 interaction et deux costumes à trouver pour mes ados.
27 octobre
0 interaction et une chemise blanche à mettre à l’eau de Javel pour Man in black et un panier à trouver pour le petit chaperon rouge.
28 octobre
Message reçu dans Meta Business Suite, daté du 25.
Votre publicité a été rejetée car elle ne respecte pas nos politique (sic) Dating_policy. Relisez notre politique et modifiez votre publicité sur la page Qualité du compte. Elles seront soumises à nouveau à examen une fois vos modifications enregistrées.
29 octobre
0 interaction mais Facebook a vu juste. Je suis une Sugar Baby avec 80 piastres de bonbons qui attendent dans la dépense.
La chute!!! (je suis toujours lectrice, verre bientôt?) xx
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