Débarquer de l’héroïne

Pticopain n’a jamais été mon Pticopain finalement. Maintenant je le sais.

J’ai fabulé une histoire qui s’écrivait, avec du temps devant nous en tricoter des chapitres et des tomes, mais c’était rien de plus qu’un feuilleton mal scénarisé avec une fin anti-climax par-dessus le marché.

Un an.  

J’étais — je me gardais — aveugle à tous les signes. 

Quand il ne t’invite plus jamais et se contente d’accepter tes propositions, et que ton orgueil pleure par en-dedans ;  

Quand il multiplie les signaux contradictoires : te prêter des livres, te parler d’affaires que vous allez faire ensemble, te donner accès à son serveur de films, pour ensuite te ghoster pendant des semaines (un délai de réponse que tu justifies par ses états dépressifs auto-diagnostiqués et/ou sa perpétuelle mauvaise passe au bureau) ;

Que sa maudite peur de s’imposer te rend responsable de maintenir le lien entre vous et que se brouille ainsi, perfidement, ta capacité intuitive à distinguer l’intérêt du désintérêt ; 

Quand tu es rendue à googler « personne autiste » AND « en amour » et que le Guide de survie pour personne non autiste vivant avec une personne autiste (et vice-versa) devient ta lampe frontale ;  

Quand tu regardes le calendrier pour trouver à quelle date vous serez libres en même temps et qu’il met fin à l’exercice avec trois mots — Inquiète-toi pas — pour éviter de se commettre ;

Quand il s’endort dans la grâce de tes caresses pendant chaque esti de film sans jamais, en retour, égarer ses doigts sur ta peau, et que les colonnes Caresser et Être caressée penchent cruellement en ta défaveur ; 

Que tu comptes sur les doigts d’une main le nombre de fois où il t’a posé des questions sur tes enfants, ta famille ; 

Quand il ne s’intéresse juste pas à ce que tu fais, et que mentionner que tu te lèves tous les matins à cinq heures pour écrire devient une brindille que tu agites au museau d’un chat indifférent — dommage! quelque chose me dit que cela aurait pu t’intéresser, wink wink ;

Quand il abreuve sa collection de 5000 mille « amis » Facebook de selfies savamment choisis pour le faire apparaître une semaine sur deux comme un super papa et l’autre semaine comme un élégant célibataire qui fréquente les meilleurs bars et restos de la ville (et ceci même en ta présence, en évitant de laisser voir qu’il est accompagné) ;

Tous ces signes crient fort. 

Et moi… 

Man.  

J’ai certainement une prodigieuse facilité à aimer sans retour, à me donner, à vivre d’espoir.

J’ai surtout sombré dans un état d’insécurité affective qui a fini par me rendre complètement obsédée. Ne me donnez jamais d’héroïne. 

Parfois un sursaut de lucidité. 

Sur mon téléphone, j’ai quatre fichiers audio enregistrés — on dirait le complément balado de la série télé — où je lui livre des chars de marde passive-agressive qui se terminent par un adieu — jamais envoyés.

Le 24 août, je lui envoie ce texte après un long silence de sa part. 

Écoute… j’ai tellement pas le goût de vivre ça encore une fois. Peut-être que je saute trop vite aux conclusions ou bien c’est juste que je commence à te connaître. J’ai l’impression d’essayer de partir un feu avec des roches. Beaucoup d’ouvrage, pas souvent d’étincelles. Je me suis probablement trop acharnée. Je croyais que le feu pouvait prendre. Là je n’y crois plus.

Puis tout de suite un autre, petit soupçon de fuck off.

Et btw je n’ai pas besoin que tu me répondes. 

Mais bien-sûr, bien-sûr! qu’il m’a répondu. Cette fois-là, il m’a INVITÉE à aller prendre un verre. Oh! Il ne veut pas me perdre.

On s’est raconté nos voyages d’été, on a pris le temps de tourner autour du pot. 

J’ai fini par lui demander : qu’est-ce que je suis pour toi?  Est-ce que je suis ton amie?

Il a noyé le poisson avec ses habituelles doléances dépressionnistes, son incapacité à communiquer — je suis poche, toutes les filles que j’ai fréquentées me l’ont dit — et parlant de ses absences : je veux que tu saches que ce n’est jamais contre toi

Ce n’est jamais contre moi. 

Contre qui alors? 

En tout cas, ce n’est certainement pas pour moi.  

Je n’ai pas insisté, j’aurais dû. 

Quelques jours plus tard, il est venu chez-moi. C’était un jeudi. Pour la première fois depuis la première fois, j’ai eu l’impression que c’est lui qui me faisait l’amour.  Longtemps, longtemps. Avec une grande tendresse et une grande dévotion.

C’était le baiser de la veuve noire — du veuf noir.  

Trois semaines — de silence — plus tard, boum.

Salut, j’espère que tu vas bien.

Je ne sais pas trop comment gérer la chose ou te le dire, mais je dois être honnête avec toi. J’ai commencé très récemment à fréquenter quelqu’un. Tu comprendras alors mon silence depuis quelque temps. J’hésitais à savoir si je devais te le dire par écrit ou de vive voix. Je tiens à te partager que j’ai passé vraiment du bon temps avec toi.

Merci pour ces beaux moments. Je te souhaite sincèrement le meilleur du monde.

***

Àa partir de maintenant, rebaptisons-le PP. S’il n’a pas été mon Pticopain, il fera un formidable PtiPain.

Quelle adéquate amputation sémantique que d’enlever le « co » qui a toujours fait défaut — on a les vengeances qu’on peut quand on écrit en cachette. Et, en plus, un p’tit pain, on sait tous qu’on n’est pas nés pour ça!

Septembre 2021. 

PP publie un avant-après d’une perte de poids spectaculaire de 60 livres en 3 mois, avec deux selfies pris devant son miroir. Qu’il ait pris une photo de lui au Jour 1 me fascine — qu’il inonde ses réseaux de photos de lui m’amuse et me sidère, ce garçon que je n’ai rencontré qu’une fois au printemps, pour une date pandémique au parc Lafontaine. 

C’est à cause de ses réseaux sociaux qu’on s’est retrouvés là, après tout. Parce qu’une amie me l’a pointé — Connais-tu ce gars-là? — ; parce que je l’ai trouvé beau et intrigant, et qu’on pouvait facilement décoder qu’il était célibataire; que j’ai pensé qu’il travaillait dans le même domaine que moi avec nos 136 amis communs ; et parce que finalement je lui ai écrit en message privé : Salut! On ne se connaît pas…mais peut-être qu’on devrait? 

Je ne peux pas dire que la magie a opéré au parc Lafontaine. 

Aussi furtives que soient les premières impressions, elles capturent plus de vérité qu’on est prêt à l’admettre. PP m’attend debout, avec une chemise étirée, sa barbe broussailleuse et son regard de pénitent. Je vois la fragilité du gars qui se néglige.

Notre conversation arrive tout de même, un peu, à surfer sur le coup de foudre qu’on a ressenti en se textant. C’était si intense qu’à ce rythme-là, on allait se demander en mariage avant de se rencontrer — no joke. On s’écrivait à la soirée longue en s’émerveillant d’être parmi les initiés qui comprennent le génie de Mike Ward et les romantiques qui rêvent de visiter la Russie. 

Je découvre un être sensible, passionné d’histoire, cultivé, original dans ses références, ouvert d’esprit et à qui il semble qu’on pourrait absolument tout dire. Il me confie que la pandémie l’a malmené, qu’il a compensé l’isolement en commandant ben’ trop de resto, et qu’il a eu le moral à zéro tout l’hiver.

Qu’il enchaîne en me racontant pendant une heure toute la laine que son ex lui a mangé sur le dos n’emmieute en rien mon impression d’estime de soi dentelée par les mites.

De retour à la maison, je trouve un message texte dépité de sa part, s’excusant de n’avoir pas été à la hauteur.

Avec mille précautions, je ne peux faire autrement que de confirmer ses doutes, je lui écris essentiellement : je ne tomberai pas amoureuse de toi. 

(Parfois on se trompe dans la vie.) 

(Parfois on le sait depuis le début aussi.)

La publication de sa perte de poids quatre mois plus tard, c’est un Joker qui sort du paquet. Je lui écris : wow bravo, comment t’as fait? 

Jeûne intermittent — mais intensif — et vingt kilomètres de marche par jour. VINGT KILOMÈTRES PAR JOUR. Il a passé l’été à fondre sur les trottoirs de Montréal en écoutant des livres audio. 

On se donne rendez-vous au parc Laurier. 

Ma deuxième impression uploade la nouvelle mise à jour de la vérité. Ce n’est pas le même homme. Le modèle « Deux frères » s’est métamorphosé en « Roch Voisine version mature» : beaux yeux en amande, barbe grisonnante et coupe high and tight,  — la styliste en moins. Je comprendrai que pantalons de jogging et hoodie sont les musts dans une garde-robe en chicane avec le pèse-personne. 

Il me raconte que notre rencontre au parc Lafontaine lui a donné un coup de pied au cul pour se prendre en main. Qu’il espérait que j’allais voir sa publication avant-après. 

Flattée, j’entendais : j’ai fait ça pour toi

La romance commençait. 

Ce serait impossible, insignifiant, répétitif et douloureux de raconter l’année qu’on a passée à se voir et à se non-voir. Les crêpes et les sfoufs, les roses, les pièces de théâtre et le show de danse, nos complicités fulgurantes, les baisers échangés aux quatre coins de la ville, notre Covid, Banksy, Jacques Brel et Forever young, la soirée passée à se coller sur le plancher radiant de ma salle de bain quand il avait trop bu et que je profitais de sa faiblesse pour lui tirer les vers du nez sur ses sentiments envers moi — sans réel succès, comme toutes les fois.

Sa carapace ne faisait qu’attiser ma curiosité, je voulais tellement le connaître.

Rien ne cédait. 

Ça a été pour moi une année de voyage intérieur. J’ai découvert la face cachée de moi-même, celle qui ne voit jamais la lumière. 

J’ai complètement sombré dans l’insécurité et l’obsession. 

Je me suis mise à aller sur Messenger constamment constamment constamment pour voir s’il m’avait écrit — non — jusqu’à ce que le point vert à côté de sa photo devienne ma seule dope disponible— il est en ligne, je suis en ligne, on est ensemble. J’évoluais en état de déprivation, en m’accrochant à cette unité minimale d’intimité — le point vert. 

Une fois, je me suis égarée dans les paramètres de confidentialité de Facebook et je suis arrivée sur la page qui enregistre toutes les activités du compte. La page était remplie d’une seule action répétée environ toutes les demi-heures, jour après jour : aller voir son profil. 

J’étais comme une radio brisée qui émet son grichage désespéré — aime-moi, rassure-moi — sur aucune fréquence at all. 

Quand PP est parti pour l’Italie avec ses enfants, c’était pire que pire. Parce qu’on a pris un verre ensemble la veille de son départ, qu’il avait des étincelles dans les yeux, je croyais que j’occupais, peut-être, une petite partie de ses pensées là-bas, à Venise, à Rome. 

Toujours le doute quand même. Pourquoi publier tant de photos? 

(Et pour qui? — ça s’en vient. )

La photogénie est un phénomène mystérieux. PP a ce don. La caméra l’aime. Elle lui donne une élégance, une prestance, qu’il n’a pas en personne. Elle masque les imperfections de son visage, le xanthélasma sous ses yeux, son teint olivâtre et son regard fuyant.

Je google “personnalité narcissique”. J’apprends qu’il y a deux types : le narcissique grandiose et le narcissique vulnérable. Est un narcissique vulnérable celui qui craint qu’on le blesse (psychologiquement), qu’on se moque de lui ou qu’on l’humilie, mais qui pour autant a intensément besoin du regard des autres pour se sentir exister.

Cher narcissique vulnérable, je te présente…Internet ! Ce miroir aux Alouettes infini où tu peux resplendir en société sans devoir entretenir de réelles relations. 

Quand je repense à notre première rencontre, j’avais déjà tout compris. 

Je ne tomberai pas amoureuse de toi

Puis, j’ai donné la chance, je me suis fait prendre au jeu du peut-être qu’avec le temps, j’ai pensé que si j’arrivais à craquer le code, j’allais découvrir un trésor, je me suis acharnée jusqu’à la déraison parce que c’était impensable qu’il ne me voit pas comme sa princesse charmante. Comment ce misanthrope introverti, dépressif, avec une passion autistique — son intérêt spécifique — pour le cinéma, ne pouvait-il pas se sentir béni de voir tomber du ciel et atterrir dans son salon aux rideaux toujours fermés une blonde bien dans son corps et dans sa vie, brillante et joyeuse, et qui l’invite à des premières où se trouvent justement tous les gens dont il veut se faire voir? 

Est-ce que je suis tombée amoureuse de lui ? Je suis tombée, ça c’est sûr.

Mais amoureuse? 

Je le croyais sans le croire. Je le disais sans le dire. 

Quand j’essayais d’éclaircir avec lui notre situationship, je lui disais des affaires comme : Moi, mon coeur est avec toi, ou bien Mon but, c’est qu’on soit des amoureux

Passe sur la palette — à toi de me partager tes sentiments. 

Il accusait à peine, évitait monstrueusement de relever ce que je venais de dire. Qu’il m’ait entendue était la seule certitude. Une fois les mots traversés son canal auditif, que leur arrivait-il? Le gars qui prenait en photo chacun de ses repas — mais littéralement chacun — n’avait pas le même TOC avec le lexique amoureux.

Je n’investiguais pas, je ne le plaquais jamais au mur. Parce qu’au fond…je n’étais pas prête à l’introduire dans mon monde. Mes parents, mes amies, mes enfants, que verraient-ils en lui? L’être bon, cultivé et séduisant, ou le timide un peu ackward avec un nuage noir au-dessus de la tête? 

Toutes mes énergies intérieures étaient consumées sur le champ de bataille : c’était la volonté de me faire aimer de lui à tout prix contre la force d’admettre qu’il n’était pas pour moi. 

À son message d’adieu, j’ai répondu par un message audio qui est un chef d’oeuvre de relations publiques — Julien Lacroix, tu peux m’écrire en DM. 

Allô PP. 

Tu sais, il n’y a pas de bonnes façons d’annoncer ça, alors par texto ou en personne, je préfère par texto. Notre communication n’a jamais été très bonne de toutes façons. J’ai compris l’essentiel. Ce qui me fait le plus de peine, c’est que tu fréquentes quelqu’un d’autre, et ça me confirme ce que je ressens depuis le début : que j’étais là par défaut. J’ai bien essayé d’entrer dans ton coeur mais tu ne m’as jamais laissée entrer. On ne peut pas forcer ces choses-là, anyway. Je vais essayer de garder juste les bons souvenirs de notre histoire même si aujourd’hui c’est plus difficile, je te dirais. Adieu.

Le lendemain de cet échange, il a publié une photo de sa nouvelle flamme.

Le regard des autres ne pouvait pas attendre. 

Et le mien — que je vois ça! le lendemain! cette cruauté! — ne comptait pas.

Quand on y pense, ça ne pouvait pas finir autrement.

Unfriend. 

***

Avalée par la peine et absolument pas guérie de mon addiction à le traquer en ligne, j’ai finalement eu l’idée d’aller parcourir la liste de ses fameux 5000 amis. Je ne m’étais jamais aventurée au-delà de nos 136 amis communs.

J’ai vu déferler une avalanche de jeunes femmes dans la trentaine-ish, toutes jolies, stylées, urbaines, professionnelles, engagées, artistes, cultivées, dont les jolis minois s’additionnent jusqu’à disparaître. 

Des milliers de femmes.

Il faut scroller longtemps pour arriver au bout, je vous jure.

J’imagine le fil FB de PP. Ça doit ressembler à un système de surveillance multi-cam avec lequel il épie l’existence de jeunes femmes à son goût, et desquelles il essaye de se faire voir.

Heureusement, il est zéro dangereux. Juste un anxious avoidant standard.

Et moi qui pleure ce gars-là. 

Et moi qui me casse les dents et le coeur à percer un mystère qui ne veut pas de moi dans sa vie.

Je me promets — de force — plus jamais. Plus jamais je ne dois le revoir.

En attendant de le penser pour vrai.

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