J’ai offert le jeu Clairvoyantes comme cadeau collectif à la petite famille au réveillon. C’est une variante du Tarot de Marseille, avec des figures, des objets et des lieux qui servent de tableaux divinatoires. Pour chaque carte, le livre d’accompagnement présente un court récit littéraire et des éléments interprétatifs.
Entre une boulette, un trou d’cul et une partie de dards, on s’est tirés aux cartes, Tom, les enfants et moi.
Ça se passait dans une ambiance très 7 à 77 ans jusqu’à ce que mon tour arrive. La première carte qu’on pige nous représente. Moi, c’était la Tentatrice.
Imaginez la scène. Je lis à voix haute, devant ex et enfants.
La tentatrice ratisse large et voit loin. Elle n’a pas peur de passer les frontières de son terrain de chasse, car elle n’épargne aucun territoire sauvage de sa quête. Elle évolue au grand jour jusqu’à sa proie, mais elle cache tout de même un peu son jeu en progressant par à-coups ou en ondulant: la ligne droite n’est pas une option dans son entreprise.
La tentatrice n’est jamais une cible : c’est elle qui chasse et trouve. Elle opère avec ses charmes dans les alcôves, les sous-bois et les coins sombres. Son modus operandi a fait ses preuves alors elle ne s’en détourne jamais, ou rarement. Elle approche de manière oblique et calculée le sujet choisi après l’avoir étudié, puis elle le captive et le consomme. Elle crée sa toile patiemment et avec méthode. Elle est ouvrière tisserande, artiste du crochet qui manie son outil comme un bâton de mage.
La Tentatrice ensorcelle en secouant la tête après avoir dénoué sa longue tresse sombre. Le pointe de ses cheveux dessine au creux de ses reins et sur la peau de ses victimes des arabesques codées, comme un pinceau trempé dans l’encre invisible caresse le coton de la toile pour faire apparaître un récit dans une langue magique. Son parfum, entêtant, mais harmonieux, est un accord de rose et de jasmin en tête, avec un coeur généreux de vanille posé sur un tapis de mousse bonifié de sauge.
(Ouf, merci le parfum d’arriver à la fin pour tenter de changer de sujet.)
Puis les clés interprétatives.
La Tentatrice est un piège dressé sur le chemin de ceux en qui le manque a creusé le désir. Elle est le feu vif, le contraire de la braise. Elle n’aime pas les relations stables et peut rendre fous ceux qui s’attachent à elle. Elle est la figure de l’éphémère : l’intrigue dont elle est à l’origine, et qui prend la forme d’une douce manipulation, est toujours brève.
La Tentatrice guide vers l’autonomie ceux qui font confiance au hasard et qui n’ont pas peur d’emprunter les chemins non balisés de l’aventure. Elle n’est pas dangereuse sauf si vous croyez à l’omniprésence du mal dans la société des Hommes et à la surface plane de la durée. Elle ouvre les portes sacrées du plaisir. Ce plaisir qu’elle peut donner au sujet qui n’a pas d’attente est une parenthèse dans laquelle se cache parfois un enseignement, un cadeau, un secret : la Tentatrice est un professeur de désir.
Mots clés : Manipulation / Piège / Passager / Plaisir / Enseignement / Séduction.
Tom écarquille ses grands yeux poseurs de questions.
J’admet que «c’est vraiment mon année 2022», mais en riant, et en espérant que ce rire suffise à semer le doute raisonnable sur la valeur, fantasmée ou consommée, de ma vie de tombeuse.
Avec les cartes des enfants, on a conversé, on a cherché la signification des symboles et à quels événements réels ils pouvaient se lier.
Avec moi, on a tacitement et unanimement opté pour ne pas entrer dans les détails.
Suivant!
Tom à son tour a pigé La Grotte pour annoncer son année 2023. Ça aussi, lu à voix haute en famille, c’est devenu malaisant. L’ermite va devoir affronter le soleil s’il ne veut pas finir couvert de mousse. J’ai l’air d’en rire mais cela m’a réellement attristée. Même un jeu de cartes à 36,95 voit bien qu’il devient un vieux garçon semi-cloîtré.
J’ai attendu d’être seule pour retourner explorer la carte de la Tentatrice. Difficile de ne pas m’y reconnaître, en tant que chasseresse, en tant qu’initiatrice. Mais j’ai beau jouer d’ensorcellement autant que flûte se peut, mes proies sont loin du joug. À part les quelconques que j’ai rencontrés sans suite, je n’ai vécu en 2022 que deux émois : le très unilatéral Feuilleton du calvaire avec Pticopain et une fugace Interlude audio-kinky avec A.
La tombeuse fait moins tomber qu’elle ne tombe.
De mes chutes et de mes enfargeages est née Majesté.
Et c’est Majesté que je vois dans les arabesques codées et dans l’image du pinceau trempé dans l’encre invisible faisant apparaître un récit dans une langue magique.
Pour le meilleur et pour le pire, ma quête de l’amour et ma pratique d’écriture se sont fondues ensemble.
Ça me fait penser au jeu Tu préfères, avec ses questions trash que Fleur et sa cousine n’arrêtaient plus de se poser en regardant la finale de hockey junior. Tu préfères être… aimé de tes parents et détesté de tout le monde OU aimé de tout le monde et détesté par tes parents? Elles ont toutes les deux répondu : être détestées par leurs parents.
Toi Majesté, tu préfères être une autrice célibataire très inspirée OU une moldue madly in love réduite à la page blanche?